Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
RTenLoire
Inscrit le: 30 Oct 2013 Messages: 14 Lieu: Bresse louhannaise
|
écrit le Saturday 02 Nov 13, 20:53 |
|
|
Dans mon village situé entre Saône et Bresse louhannaise, enfant, une expression attirait mon attention:
Y piou abeurnoncio ce qui voulait dire y piou kma véche qui pisse ou plus clairement « il pleut comme vache qui pisse, c’est à dire à torrent.
Cette expression réhabilitait mon patois qui n’était que du français déformé (sous-entendu, déformé par ces paysans ignares) selon les bien-pensants. Je ne voyais pas de quel mot français ce mot pouvait dériver après une quelconque et longue trituration.
Ce mot était donc un mot caractéristique de mon patois et non pas du français déformé: l’honneur était sauf.
Plus tard, cherchant les racines de mon patois, je tombe sur le « Dictionnaire du français régional de Bourgogne » de Gérard Taverdet . Ma déconvenue fut grande quand je m’aperçus que le premier mot était abeurnoncio.
Mon mot typiquement patois de mon enfance, était un mot français !! mais un mot hérité du latin. Finalement l’honneur était sauf !
Plus près de Louhans, on disait à batraisse . |
|
|
|
|
Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
|
écrit le Saturday 02 Nov 13, 23:24 |
|
|
Dans le Glossaire des vieux parlers du département de la Vienne, Robert Mineau, Lucien Racinoux (1975)
Abeurnoncio : exclamation qui exprime la surprise, le dégoût ou l'horreur. Employé comme substantif avec un sens péjoratif.
Quel abeurnoncio d'drôle ! quel enfant terrible !
variantes : abrenunciô, bernonciô, beurnonciô, beurnonsio, beurnosio, abeurnocio |
|
|
|
|
Jacques
Inscrit le: 25 Oct 2005 Messages: 6531 Lieu: Etats-Unis et France
|
écrit le Saturday 02 Nov 13, 23:50 |
|
|
C'est probablement un juron d'origine religieuse.
Abrenuntio < lat. recuncio, je renonce (à Dieu ? à Satan ?)
Trouvé sur Internet dans un site hispanophone :
Prière à Saint Comba et Saint Cibrián :
Abernuncio us Pasteco con espíritu tuas e de labatorios sanantes cues junto [justo?] Nazareno, Hijo de la Virgen María, quita o teu pauto do corpo da hechicera."
http://forum.wordreference.com/showthread.php?t=1977485 |
|
|
|
|
rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
|
écrit le Sunday 03 Nov 13, 1:51 |
|
|
Il est cité dans de nombreux dictionnaires espagnols comme interjection au sens de " Dieu nous préserve!"
Par exemple, ici, dictionnaire du XVIIIème siècle.
Dernière édition par rejsl le Friday 08 Nov 13, 13:29; édité 1 fois |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
|
écrit le Sunday 03 Nov 13, 9:59 |
|
|
Ce qui est intéressant, c'est que le sens en a été assez démotivé dans certaines régions de France, au point qu'il est compris parfois comme un simple synonyme de "beaucoup" (probablement quand même plutôt avec des phrases à connotation négative, comme "il pleut").
http://donzy-le-pertuis.fr/index.php/le-parler-de-bourgogne
Il est aussi utilisé, nous dit Wiki, en Saintonge :
Citation: | Abeurnoncio, Brenouncio, ou encore Brenoncio, pour marquer refus, répugnance, ou tout simplement pour rythmer la conversation; cette exclamation populaire est issue du latin liturgique « ab renuntio tibi, Satanas » (je renonce à Satan, ses pompes et à ses œuvres). |
|
|
|
|
|
Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
|
écrit le Sunday 03 Nov 13, 10:45 |
|
|
Ce n'est pas vraiment le sens de "beaucoup", mais plutôt, si on tient compte des autres acceptions, le sens de "terrible" :
il pleut terriblement ! il pleut affreusement ! (avec l'idée de rejet : ce n'est pas la petite pluie qui arrose les plantations comme il faut, mais la pluie que l'on peut redouter parce qu'elle peut aussi provoquer des dégâts)
Ce terme latin devait être assez courant autrefois.
Par exemple dans ce livre :
un instituteur dit comment il faut se comporter en voyage (1829)
À l'entrée du chemin on peut dire cette prière:
Abrenuntio Satanæ, adhæreo tibi Christe, qui es via, veritas, et vita.
Je renonce à Satan, j'adhère à toi Christ qui est la voie, la vérité et la vie
Ces trois derniers termes sont issus de l'Évangile de Jean. |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
|
écrit le Sunday 03 Nov 13, 10:55 |
|
|
C'est bien mon avis. Il n'empêche que plusieurs, probablement à cause de son association dans de rares phrases (presque toujours "il pleut" !), l'interprètent carrément comme "beaucoup". Cf. nombreuses citations sur la Toile.
On peut d'ailleurs se demander s'il n'y a pas une certaine contamination de sens avec le paronyme "abondance". |
|
|
|
|
Jacques
Inscrit le: 25 Oct 2005 Messages: 6531 Lieu: Etats-Unis et France
|
écrit le Sunday 03 Nov 13, 14:59 |
|
|
Citation: | Y piou abeurnoncio | Si c'est une ancienne référence à Satan, on pourait la préserver tout en indiquant que la pluie est abondante et terrible :
Il pleut diablement.
ou
C'est une pluie d'enfer.
ou
Il tombe une pluie du diable.
Notons aussi :
Il pleut bougrement.
Bougrement était un mot très fort, presque tabou, qui signifiait en particulier "hérétique", donc "celui qui renonce". |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
|
écrit le Sunday 03 Nov 13, 15:13 |
|
|
Oui, propositions astucieuses. Jacques a écrit: |
Bougrement était un mot très fort, presque tabou, qui signifiait en particulier "hérétique", donc "celui qui renonce". |
Euh, en principe, dans la formule populaire c'est "à Satan et à ses pompes" qu'on renonce et qu'on est alors, non pas hérétique, mais au contraire bon catholique. |
|
|
|
|
Jacques
Inscrit le: 25 Oct 2005 Messages: 6531 Lieu: Etats-Unis et France
|
écrit le Sunday 03 Nov 13, 18:25 |
|
|
Oui, bien sûr, mais une prière en latin avec le nom de Satan peut être facilement mal interprétée et répétée dans un registre blasphématoire (cf. "hocus pocus").
Dernière édition par Jacques le Sunday 03 Nov 13, 20:24; édité 1 fois |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
|
écrit le Sunday 03 Nov 13, 20:04 |
|
|
Hocus pocus n'a pas d'étymologie bien claire.
Pour abrenuncio, au contraire, c'est assez clair, et c'est une formule que les catholiques connaissaient bien, ayant nécessairement l'occasion de la prononcer un jour, lors de la confirmation des vœux du baptême ou lors d'un baptême.
On a déjà signalé les utilisations plutôt méridionales de l'expression. On trouve dans Don Quichotte un passage qui montre la métathèse populaire qui est en train d'opérer :
Ce que cette page traduit ainsi :
Citation: | À ces mots, don Quichotte se tâta la gorge, et se tournant vers le duc :
« Pardieu ! seigneur, s’écria-t-il, Dulcinée a dit vrai ; car voici que j’ai l’âme arrêtée au milieu de la gorge, comme une noix d’arbalète.
– Que dites-vous à cela, Sancho ? demanda la duchesse.
– Je dis, madame, répondit Sancho, ce que j’ai dit, quant aux coups de fouet : abernuncio.
– C’est abrenuncio qu’il faut dire, Sancho, reprit le duc, et non comme vous dites.
– Oh ! que Votre Grandeur me laisse tranquille, répliqua Sancho ; je ne suis pas en état maintenant de regarder aux finesses et à une lettre de plus ou de moins, car ces maudits coups de fouet, qu’il faut qu’on me donne ou que je me donne, me tiennent si troublé, que je ne sais ni ce que je dis ni ce que je fais. |
La traduction de la Pléiade est :
Citation: | pour les coups de fouet j'abernonce.
Vous devez dire, repartit le duc, j'y renonce. |
ce qui n'est pas très compréhensible. |
|
|
|
|
Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
|
écrit le Sunday 03 Nov 13, 20:21 |
|
|
dans le dictionnaire d'ancien français de Godefroy, on a : abrenoncier, abrenoncer : renoncer
Et cette remarque :
Les paysans de la Vendée emploient souvent le mot latin abrenuncio comme une exclamation d'horreur; c'est un souvenir de la formule d'exorcisme du Moyen Âge : Abrenuntio te, Satanas.
de cette même famille : annoncer, annonce, Annonciation, renoncer, renoncement, nonce, internonce.
En ancien français : nonceur : qui annonce, messager. |
|
|
|
|
RTenLoire
Inscrit le: 30 Oct 2013 Messages: 14 Lieu: Bresse louhannaise
|
écrit le Friday 08 Nov 13, 11:17 |
|
|
A la suite de la lecture des contributions précédentes, je vous propose l’explication suivante :
Le patois était, pour ses utilisateurs, un outil (pléonasme volontaire) de communication orale et à transmission orale, dans une zone rurale réduite, faute de moyen de communication, en dehors de ses jambes.
Les paysans ne savaient ni lire, ni écrire (Voir les actes d’état civil que souvent, ils ne peuvent pas signer), ce qui les a fait prendre pour des demeurés, alors qu’ils étaient incultes parce qu’analphabètes.
S’il y avait écrit, cet écrit se faisait, si on en avait la capacité, en français.
Imaginons à l’origine : Il pleut abeurnoncio ou abrenoncio
qui à l’époque pouvait être compris : Il pleut, je renonce, sous entendu, je renonce à ce que j’avais prévu de faire à l’extérieur : faucher du foin, réparer le toit de chaume…..
L’empêchement est d’autant plus grand (et le renoncement impératif) qu’il pleut beaucoup !
d’où l’assimilation dans la conscience collective de façon imagée :
abeurnuncio / beaucoup.
Les transmissions orales successives, de bouche à oreilles (pléonasme volontaire) de génération à génération, sans aucune idée de son sens primitif et de son origine latine, aboutit à utiliser abeurnoncio avec sa musique et son côté curieux, pour frapper l’attention de son interlocuteur.
On est loin de la seule linguistique, qui certes, est indispensable pour remonter à la source et suivre les étapes, mais la compréhension d’une expression semblerait imposer, en plus, que l’on se place du point de vue de l’utilisateur.
Ainsi, jeune adolescent, j’ai pu utiliser une doloire (ancien outil de charpentier pour équarrir les troncs d’arbre) pour couper de la paille de seigle sur un billot de bois, à destination des litières des vaches, sans aucune connaissance de son rôle premier. |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
|
écrit le Friday 08 Nov 13, 12:21 |
|
|
Bien sûr, mais on peut se demander pourquoi on n'a conservé ce "abeurnoncio" que dans le contexte de la pluie. On devrait trouver d'autres exemples dialectaux où "abeurnoncio" a bien ce sens de "je renonce", sens originel. |
|
|
|
|
Xavier Animateur
Inscrit le: 10 Nov 2004 Messages: 4087 Lieu: Μασσαλία, Prouvènço
|
écrit le Friday 08 Nov 13, 12:41 |
|
|
Cette explication ne me satisfait pas pour plusieurs raisons :
Il s'agit certes d'un patois, c'est à dire une langue parlée et non écrite. Il y avait autrefois une littérature orale dont nous n'avons plus vraiment conscience aujourd'hui car elle a pratiquement disparue de nos contrées.
La langue orale n'est en fait pas très différente de la langue écrite. Et elle n'était pas aussi aberrante que cela.
Ce n'est pas parce qu'on était "analphabète" qu'on ne maîtrisait pas la langue !
La langue écrite n'était pas maîtrisée, mais ils maitrisaient la langue orale certainement mieux que nous ! Leur façon de maîtriser la langue était différente.
Ensuite, quand on constate des "déformations", on peut les comprendre avec des "règles" car elles se reproduisent dans d'autres domaines. On le voit bien avec ces déformations du latin vers le français, qui était à l'origine une langue orale, un patois, et qui est devenue une langue écrite.
Dans ce cas, il faudrait expliquer comment on est passé de "je renonce", à "abeurnoncio".
L'histoire de la langue française, c'est l'histoire d'un patois, même si en devenant langue écrite elle a subi de nombreuses influences, en particulier celle du latin.
Dernière édition par Xavier le Saturday 09 Nov 13, 11:27; édité 1 fois |
|
|
|
|
|