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A propos d' "inchoatif" : cognosc-/cognov- dans la Guerre des Gaules. - Forum latin - Forum Babel
A propos d' "inchoatif" : cognosc-/cognov- dans la Guerre des Gaules.

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Ion
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Messageécrit le Friday 23 Feb 18, 19:48 Répondre en citant ce message   

La longue discussion de mai 2013 intitulée « Les verbes inchoatifs » a mobilisé tout un tas de notions que j’ai toujours voulu approfondir.

Il était question de verbes comme inveterascere « vieillir, s’enraciner », qui présentent le suffixe « inchoatif » - sc – dont la dénomination véhicule l’idée de « commencer à » (latin inchoare « commencer »)

Ici je voudrais simplement confronter deux emplois de cognosco « apprendre à connaître, prendre connaissance, se mettre au courant » dans la Guerre des Gaules, pour amorcer une comparaison de la valeur des formes bâties sur cognosc-, le thème de l’infectum (autrefois appelé « thème du présent ») et celles qui sont bâties sur cognov-, le thème du perfectum (ex-  « thème du parfait »).

Le thème de l’infectum sert à former le présent, l’imparfait et le futur simple, actifs et passifs, tandis que celui du perfectum sert à former le parfait, le plus-que-parfait et le futur antérieur actifs, à tous les modes où ces temps existent.

Le verbe est très employé par César et Hirtius : pas loin d’une centaine de fois en tout.

Premier passage
Citation:
V, 48, 1 Venit magnis itineribus in Nerviorum fines. 2 Ibi ex captivis cognoscit, quae apud Ciceronem gerantur,
« (César) arrive à marche forcée dans le territoire des Nerviens. Là, en interrogeant des prisonniers, il apprend ce qui se passe chez (Quintus) Cicéron (assiégé dans son camp). »

Le co-gno-sc-i-t (présent historique) a donc son suffixe inchoatif -sc-. Cela signifie-t-il pour autant que César « commence » à apprendre ce qui se passe chez son subordonné ? Le « début » du processus d’information est bien moins intéressant que son achèvement ! L’intéressant est le fait que César « reçoit une série d’informations ». Bref, l’inchoatif ici marque la survenue d’un événement dont on exprime la progression jusqu’à son terme. Dans la suite, rien ne suggère que César ait été incomplètement informé.
Ce n’est pas comme dans « Elle lui foutit une baffe et il se mit à pleurer. » Là, c’est le déclenchement des pleurs qui est important : elle peut le regretter ou non, etc.

Passage construit de la même façon, mais avec le parfait cognouit :
Citation:
II, 5, 4 Postquam omnes Belgarum copias in unum locum coactas ad se venire [vidit] neque iam longe abesse ab iis quos miserat exploratoribus et ab Remis cognovit, flumen Axonam […] exercitum traducere maturavit...
« Après qu’il eut appris par les éclaireurs qu’il avait envoyés ainsi que par les Rèmes que toutes les troupes belges, après s’être concentrées en un seul endroit, marchaient contre lui et qu’elles n’étaient plus très loin, il se hâta de faire traverser l’Aisne à son armée… »


Il est évident que cognovit n’a pas la valeur de novi dans novi omnes « je les connais tous ». Cognovit exprime un passé mais le complément ab exploratoribus / ab Remis, lui confère la même valeur que le cognoscit de l’exemple précédent : la réception progressive, jusqu’à son terme, d’une série d’informations. Bref, pour le sens, cognovit a la même valeur « inchoative » que cognoscit. La seule différence est stylistique : récit plus animé avec cognoscit, présent historique, et plus ordinaire avec le parfait.

L’absence du suffixe – sc – ne suffit donc pas à effacer la valeur « inchoative » (il vaudrait mieux dire « progressive ») du verbe. Le suffixe est très largement limité à la construction de thèmes d’infectum(1). C’est aussi le cas de par exemple l’infixe – n – de vinco, pft vici « vaincre » et linquo, liqui, « abandonner ». C’est au moins une manière de distinguer le thème de l’infectum.

(1) mais il subsiste dans poposci, le parfait de poscere, « réclamer », mais là, il a une valeur itérative/intensive (détails sur demande).
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Papou JC



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Messageécrit le Friday 23 Feb 18, 21:36 Répondre en citant ce message   

Citation:
Cognovit exprime un passé mais le complément ab exploratoribus / ab Remis, lui confère la même valeur que le cognoscit de l’exemple précédent : la réception progressive, jusqu’à son terme, d’une série d’informations. Bref, pour le sens, cognovit a la même valeur « inchoative » que cognoscit. La seule différence est stylistique : récit plus animé avec cognoscit, présent historique, et plus ordinaire avec le parfait.

Je ne suis évidemment pas du tout d'accord, comme tu peux l'imaginer.
Il me semble que tu oublies de dire que cognovit, verbe de la subordonnée, est en quelque sorte imposé par maturavit, verbe de la principale. C'est ce dernier qui mène le bal, comme le faisait venit dans l'exemple précédent.
Si tu prends une principale au présent et une principale au passé, il est sûr que les temps des subordonnées en tiendront compte. Je vois bien que dans le premier exemple, il s'agit en fait de deux indépendantes successives, mais comme je l'ai dit, le temps de la deuxième indépendante est ... dépendant du temps de la première, donné d'emblée en début de phrase, comme tout marqueur temporel qui se respecte.
Ça, c'est pour la forme.
Pour le sens, tu t'avances beaucoup en pensant à ce que les auteurs de ces lignes avaient en tête ! Même inconsciemment !
De toutes façons, ils n'avaient pas le choix ! Si j'écris, en français, au présent de narration, je ne vais pas brutalement glisser un passé simple dans mon texte. Et inversement.
Mais peut-être ai-je mal compris ce que tu veux dire...
J'ajoute que si je veux transporter de l'imperfectus dans le passé, j'utilise le bien nommé "imparfait". (Peut-être hors-sujet...) Ça, pour le progressif. Mais s'intéresse-t-on encore au progressif une fois le terme arrivé ? Peut-on, veut-on exprimer à la fois l'un et l'autre ?
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Ion
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Messageécrit le Saturday 24 Feb 18, 17:47 Répondre en citant ce message   

Essayons de résoudre les désaccords. Pour commencer, je vais préciser ma conception des sens qui font question.

Les sens possibles de cognovit etc. selon les valeurs reconnues au parfait par la grammaire ordinaire :
« il/elle prit connaissance » (passé/ponctuel/dynamique//progressif) 2° « il/elle connaît » (présent/durée/résultat-statique).
Au plus-que-parfait : 1° « avait pris connaissance » ; 2° « connaissait ». Participe passé passif : 1° « ayant été appris » ; 2° « étant connu ».
Le sens n° 2 est un corollaire du sens n° 1.
NB : parfois, les deux sens sont acceptables pour la compréhension d’un texte.

Un exemple tiré de la Guerre des Gaules. Pour les couleurs, cf. ci-dessus.

Citation:
IV 5 (2) C'est en Gaule un usage de forcer les voyageurs à s'arrêter malgré eux; et de les interroger sur ce que chacun d'eux sait(1) ou a entendu dire. Dans les villes, le peuple entoure les marchands, et les oblige de déclarer de quel pays ils viennent, et les choses qu'ils y ont apprises. (3) [...]
[4,6] (1) Connaissant cette habitude des Gaulois, César, pour prévenir une guerre plus sérieuse, rejoignit l'armée plus tôt que de coutume. (2) En y arrivant, il apprit ce qu'il avait soupçonné: (3) que plusieurs peuples de la Gaule avaient envoyé des députations aux Germains, et les avaient invités à quitter les rives du Rhin, les assurant qu'on tiendrait prêt tout ce qu'ils demanderaient. (4) [...] (5) César, ayant fait venir les principaux de la Gaule, crut devoir dissimuler ce qu'il connaissait; il les flatta, les encouragea, leur prescrivit des levées de cavalerie, et résolut de marcher contre les Germains. (Trad. T. Baudement, 1865)


IV 5 2 Est enim hoc Gallicae consuetudinis, uti et viatores etiam invitos consistere cogant et quid quisque eorum de quaque re audierit aut cognoverit(1) quaerant et mercatores in oppidis vulgus circumsistat quibus ex regionibus veniant quas ibi res cognoverint pronuntiare cogat. 3 [...]
IV [6] 1 Qua consuetudine cognita Caesar, ne graviori bello occurreret, maturius quam consuerat ad exercitum proficiscitur. 2 Eo cum venisset, ea quae fore suspicatus erat facta cognovit: 3 «  missas legationes ab non nullis civitatibus ad Germanos invitatosque eos uti ab Rheno discederent: omnia quae postulassent ab se fore parata. » 4 [...] 5 Principibus Galliae evocatis Caesar ea quae cognoverat dissimulanda sibi existimavit, eorumque animis permulsis et confirmatis equitatu imperato bellum cum Germanis gerere constituit.


(1) en IV, 5, 2, pour traduire cognoverit le traducteur a opté pour le sens n° 2 pour écrire du bon français, au prix d'une permutation de termes et d'un certain relâchement du sens : ce qu'il sait inclut ce qu'il a entendu dire, donc le dernier terme devient inutile. Dans la pensée, audierit se réfère aux renseignements de seconde main et cognoverit (qui a le sens n° 1) à des renseignements plus directement recueillis. Mais sait n'est pas faux.

Alors, où se situent les difficultés ?
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Papou JC



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Messageécrit le Saturday 24 Feb 18, 20:11 Répondre en citant ce message   

Je crois que nous ne parlons pas de la même chose. Ce que je conteste, essentiellement, c'est cette tienne affirmation : L’absence du suffixe – sc – ne suffit donc pas à effacer la valeur « inchoative » (il vaudrait mieux dire « progressive ») du verbe..
Ce que je crois :
1. la valeur progressive (dans le passé) est normalement exprimée par un temps qui a abouti à l'imparfait français. (Je ne connais pas son nom latin).
2. la valeur inchoative est traduite par les formes en -sc-. Là-dessus, nous sommes tous d'accord. Mais cette valeur n'a de sens que dans l'inaccompli (on dit maintenant le présent, on disait l'imperfectus en latin). Une action ne peut pas être à la fois perfecta et imperfecta !
3. Donc cognovit n'est ni un inchoatif ni un progessif, c'est un parfait pur et simple, un accompli, un achevé, un fini, terminé. On dit maintenant un passé. Puisque c'est fini, les notions de commencement et de progression sont périmées, elles n'intéressent plus personne.
4. La forme poposci me semble être l'exception qui confirme la règle, comme on dit. Il y a toujours des bizarreries dans les langues, c'est ce qui fait leur charme. Mais elles ont aussi des règles, heureusement.
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Ion
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Messageécrit le Saturday 24 Feb 18, 21:14 Répondre en citant ce message   

Je peux répondre à ton n° 1 : d'après tout ce que j'ai lu, la valeur "progressive" ne dépend pas des temps, car c'est un trait sémantique. Si je prends vivo "vivre", il ne marque pas de progression : le fait de vivre reste identique dans la durée, même si la vie passe..., et ce à tous les temps. Tandis que le fait de "s'éveiller" (expergiscor) marque le passage d'un état de sommeil à un état de veille, de même que cognosco marque la progression vers un maximum d'information.

Ceci dit, il y a un sens du parfait cognovi qui n'apparaît pas dans ma documentation, et qui n'existe peut-être pas pour ce verbe. C'est le sens qui correspondrait à "il connut" jadis quelque chose pendant un temps avant de l'oublier. Cf. la lettre de Pline à propos d'un couple défunt : vixerunt mira concordia "ils vécurent (jadis) dans une étonnante harmonie", en face de vixerunt "ils ont vécu" pour signifier "actuellement ils sont morts", ou dixi, "j'ai dit" (...bien des bêtises dans ma vie), en face de dixi "mon discours est maintenant terminé".
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Papou JC



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Messageécrit le Saturday 24 Feb 18, 21:56 Répondre en citant ce message   

1. Vivre employé sans complément est un verbe d'état, c'est "être vivant". La notion de progression ne s'applique pas aux verbes d'état. On ne peut pas dire "il est en train de vivre". Si j'ajoute "une période difficile", vivre change de statut et devient un verbe d'action. Il faut comparer des actions et des états comparables pour comprendre le fonctionnement des verbes. Vivre et s'éveiller ne sont pas des actions comparables, puisque vivre est un état.

2. Cognosco est en effet aussi progressif que le français apprendre (une matière, un instrument, à conduire, à lire, etc.). Je pense qu'il serait d'ailleurs plus judicieusement traduit par apprendre que par savoir. Le problème avec apprendre, c'est qu'il signifie aussi "entendre dire", auquel cas il se construit généralement avec que et une complétive. Et ce deuxième apprendre n'est pas progressif du tout.

3. Ton exemple avec dixi rappelle mon histoire de marquise sortie, que je ne vais pas répéter ici. J'ai une théorie sur la question : comme l'aspect accompli en vient à exprimer le passé mais qu'on continue à avoir besoin d'exprimer l'aspect accompli, les langues ne cessent de créer de nouvelles formes pour ce faire. En français, avec la disparition du passé simple de la langue parlée, temps dont le rôle était assumé de plus en plus par le passé composé, la langue parlée s'est vue dans l'obligation de fabriquer le passé dit "surcomposé", qui n'a pas d'autre raison d'être que celle-là, exprimer l'accompli. "Ça a eu payé, mais ça ne paie plus !"
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Ion
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Messageécrit le Sunday 25 Feb 18, 10:15 Répondre en citant ce message   

Voilà pour ce premier point.

Mais comment le latin prend-il en compte le début d’une action si ce début est important pour le propos ? Comment exprime-t-il un trait véritablement « inchoatif » ? Voici un cas où cela se marque par l’emploi de coepi « j’ai commencé »

Citation:
B.G., II, 5, 3 (César expose à son allié héduen une manière d’empêcher la concentration des troupes belges) Id fieri posse, si suas copias Haedui in fines Bellovacorum introduxerint et eorum agros populari coeperint.
« Cela pouvait se faire si les Héduens faisaient entrer leurs propres troupes dans le territoire des Bellovaques et entreprenaient de dévaster les terres de ces derniers. »

populari coeperint  «  commençaient à dévaster » : dès le début de l’opération des Héduens, les Bellovaques seront obligés de retourner chez eux pour défendre leurs terres. Nul besoin de mener les destructions à leur terme !

On voit bien la différence entre ceci et le sens des « verbes inchoatifs » en -sc-ĕre.
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Papou JC



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Messageécrit le Sunday 25 Feb 18, 10:46 Répondre en citant ce message   

Je ne vois de différence que lexicale : là où une forme en -sc- existe, on l'utilise. Sinon, on se sert de coepi.
À moins que ta réflexion n'ait évolué sur la question puisque tu en es venu à dire que "progressif" conviendrait mieux que "inchoatif". Il faudrait que tu éclaircisses ce point.
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Ion
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Messageécrit le Sunday 25 Feb 18, 13:44 Répondre en citant ce message   

En un mot, mon idée est que « verbe inchoatif » est une appellation traditionnelle que l’on peut conserver à condition d’admettre qu’elle est inexacte, de même que l’on parle de malaria sans que la maladie soit due à un quelconque « mauvais air ». Le verbes en – sco – évoquent bien sûr le début de l’action mais ce n’est pas l’essentiel : ils évoquent surtout une progression, depuis un début jusqu’à un terme. Cela ressort clairement des exemples que j'ai proposés.

J’en profite pour fixer les idées sur le mot.

Pour Inchoare
Gaffiot : inchoo (ou incoho) « commencer, se mettre à faire quelque chose, entreprendre » employé par Cicéron; part. passé passif inchoatus (ou incohatus) « commencé, imparfait, inachevé, ébauché » également employé par Cicéron.
Lewis & Short : incoho for in-coco; from in- and Sanscr. root *kuk-, « to take, grasp ». syn. incipere opp. absolvere, perficere
incŏhātus , a, um, only begun (opp. to finished, completed), unfinished, incomplete, imperfect (mostly Ciceron.)

Pour Inchoativus
Gaffiot : seulement inchoativum verbum (Grammairiens cf. Lewis)
inchoativus (incho- ), a, um, adj. id., I.beginning, denoting a beginning, inchoative; in gram.: “verba,” Charis[ius] p. 223 P.; Diom[edes] p. 333 P.; Prisc[ianus] p. 824 P. etc.

Inchoativus est donc seulement un mot de grammairien. La référence - réelle mais pas centrale - au début de l'action les a sans doute spécialement frappés mais ils n'ont pas approfondi la question.

J'ai les textes de Charisius et Diomède, cités par Gaffiot et Lewis. C'est fascinant !
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Papou JC



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Messageécrit le Sunday 25 Feb 18, 15:19 Répondre en citant ce message   

Très bien, merci !
Quoi qu'il en soit, inchoatives ou progressives, les formes avec -sco disent quelque chose que ne disent pas les formes sans.
Il sera difficile de me prouver le contraire.
Ce "quelque chose", il n'est pas sûr que nous puissions le percevoir au XXIe siècle, et encore moins le traduire, surtout si, comme tu le dis, les grammairiens latins eux-mêmes ne l'ont pas justement nommé. Cela veut dire que personne ne sait plus depuis longtemps ce qui avait motivé l'existence des formes en -sco. Tout ce qu'on peut observer, c'est qu'elles sont cantonnées dans l'infectum. Après...
Ce qui est très étonnant, c'est que ces formes ne semblent pas avoir d'équivalents dans les autres langues du domaine, pour autant que je sache. Me trompé-je ?
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Outis
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Messageécrit le Sunday 25 Feb 18, 18:15 Répondre en citant ce message   

Pas vraiment …
Le Traité de grammaire comparée des langues classiques de Meillet et Vendryes (§ 291, p. 189-190) en donne des exemples tant grecs (épirote γνωσκω, classique γιγνώσκω, βιβρώσκω, γηράσκω, μεθύσκω) que latins. Ils disent :
La valeur du suffixe est, semble-t-il, d'insister sur la réalisation du procès.

Plus généralement, Beekes (Comparative Indo-European Linguistics) écrit p. 230 (je traduis) :
Citation:
Suffixe -sk-
Ce suffixe est trouvé dans tous les langages, et quelquefois très productif. Il a toujours l'inflexion thématique et le degré zéro de la racine :
• eur. *gʷm-ské « aller » : sk. gácchati, avest. jasaiti, gr. βάσκω
• eur. *prk-ské « demander » : sk. pṛcchati, avest. pərəsaiti, arm. harci, lat. poscō < *pork-skō, vieil irl. arco, vieux haut-all. forscōn, all. forschen
Le plus ancien sens est difficile à établir. En latin, il produit spécialement des inchoatifs, verbes quiindiquent un début (rubē-scō « devenir rouge »), en tokharien des causatifs, tandis qu'en hittite, il sert pour des itératifs : dakizzi « prendre à plusieurs reprises ».


J'ajouterai qu'à mon sens, il est assez vain de chercher à établir avec une trop grande précision le sémantisme des suffixes. L'impression que j'ai est qu'ils opèrent simplement comme des glisseurs de sens, devant aussi leurs succès variés à l'analogie ou à l'euphonie, mais sans être fixés de façon rigide. Un peu (je sais j'exagère) comme les suffixes argotiques où l'on est incapable d'expliquer boutanche ou de dire comment le calbute s'opposerait au calcif


Dernière édition par Outis le Monday 26 Feb 18, 9:16; édité 1 fois
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Papou JC



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Messageécrit le Sunday 25 Feb 18, 18:59 Répondre en citant ce message   

Je me trompais donc, merci ! Comment n'ai-je pas pensé à γιγνώσκω, au moins. Voilà que je perds la mémoire...

Si Ion a raison, alors rubē-scō est plutôt à comprendre comme « devenir progressivement rouge, devenir de plus en plus rouge, être devenu rouge en ayant rougi progressivement ». Le verbe devenir tout seul est ambigu. Il faut qu'un adverbe précise le temps mis à changer d'état. Ça peut être soudain, instantané, ou prendre des années. Le suffixe -sc signifierait que le changement d'état a pris un certain temps, a eu une certaine durée. Et qu'il est terminé au moment de l'énonciation.

Une durée (ou une itération, qui est une durée en pointillé) implique forcément un début et une fin. L'ensemble est insécable. Jamais l'un sans les deux autres.

Ce qui est amusant dans cette histoire, c'est que chacun a vu une étape du procès, mais une seule. C'est en tenant compte des trois visions qu'on finit par cerner la fonction de ce suffixe, qui en a quand même une :
- Les uns ont vu le début, d'où "inchoatif".
- Ion voit le déroulement, d'où "progressif"
- Meillet et Vendryes voient la réalisation", c'est à dire la fin, le résultat. En terme d'aspect, on dirait "résultatif".
En fait, il y a tout ça à la fois.

Dans ces phrases du message initial de Ion : Le co-gno-sc-i-t (présent historique) a donc son suffixe inchoatif -sc-. Cela signifie-t-il pour autant que César « commence » à apprendre ce qui se passe chez son subordonné ? Le « début » du processus d’information est bien moins intéressant que son achèvement ! L’intéressant est le fait que César « reçoit une série d’informations ». Bref, l’inchoatif ici marque la survenue d’un événement dont on exprime la progression jusqu’à son terme. Dans la suite, rien ne suggère que César ait été incomplètement informé.
... le mot clé, c'est le mot série. César a reçu des informations à des dates différentes, au compte-gouttes, et non en bloc, d'un seul coup, en une seule fois. Il les a mises bout à bout, ce qui lui a permis d'acquérir peu à peu un certain savoir. C'est l'itératif hittite.

Et cognosco signifie je sais ("présent" > étatif) parce que j'ai (peu à peu) appris ("passé composé" > accompli du présent). C'est le causatif tokharien. Les formes ("temps") sont différentes mais le résultat sémantique est rigoureusement le même. Si on le traduit par apprendre (peu à peu) au lieu de le traduire par savoir, on comprend mieux le pourquoi de ces formes en -sco. Le savoir est la borne finale de l'apprentissage.

Et si seneo est rare, comparé à senesco, c'est parce que le vieillissement est TOUJOURS progressif. Rien ne vieillit d'un coup, en une seul fois. Pour des verbes de ce type, leur sémantisme impose une forme en -sco.
Oui, Ion, tu as raison, le terme d'"inchoatif" est impropre, très réducteur, source d'erreur et d'incompréhension, comme l'est trop souvent la terminologie grammaticale traditionnelle, surtout en ce qui touche aux systèmes verbaux. Merci de nous avoir enfin permis d'y voir clair dans cette histoire. À mon sens à moi, ta découverte, qui est loin d'être vaine, a au contraire une réelle valeur scientifique qui mériterait un article savant dans une revue spécialisée.
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Papou JC



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Messageécrit le Tuesday 27 Feb 18, 8:00 Répondre en citant ce message   

Un petit ajout pour en terminer (en ce qui me concerne), et pour comprendre pourquoi les formes en -sco n'ont pas de parfait :
les formes en -sco parlent d'une action qui a commencé il y a un certain temps et qui est encore en train de se dérouler au moment de l'énonciation.
Quand je raconte les événements passés du procès, il s'est déroulé dans sa totalité : il a eu un début, une durée quelconque, et une fin. Cette fin attestée impose l'usage du parfait. Elle seule compte, au moment de l'énonciation. Peu importe alors le début ou la durée.
Mais si l'on veut raconter tout ça comme si c'était en train de se passer, c'est facile, on utilise le présent de narration et le tour est joué ! C'est ce que César fait, très astucieusement.

En fait, dans

Citation:
V, 48, 1 Venit magnis itineribus in Nerviorum fines. 2 Ibi ex captivis cognoscit, quae apud Ciceronem gerantur,
« (César) arrive à marche forcée dans le territoire des Nerviens. Là, en interrogeant des prisonniers, il apprend ce qui se passe chez (Quintus) Cicéron (assiégé dans son camp). »

...César utilise le présent de narration pour pouvoir utiliser une forme en -sco ! Pour faire comprendre au lecteur que le recueil des informations ne s'est pas fait d'un coup mais a pris un certain temps. Si l'on voulait être très précis dans la traduction, on devrait dire, plutôt que "il apprend", quelque chose comme "il recueille une somme d'informations" ou mieux encore "il finit par apprendre / savoir".
Ce qui est bien la preuve, il me semble, que la forme sans -sco ne renseigne pas sur la durée de l'action. Et qu'elle n'est donc pas le parfait d'une forme en -sco.
(On comprendra mieux le pourquoi de cet ajout en lisant l'autre fil sur ce sujet).

Alors que, dans le deuxième exemple (et contrairement à ce que pense Ion),

Citation:
II, 5, 4 Postquam omnes Belgarum copias in unum locum coactas ad se venire [vidit] neque iam longe abesse ab iis quos miserat exploratoribus et ab Remis cognovit, flumen Axonam […] exercitum traducere maturavit...
« Après qu’il eut appris par les éclaireurs qu’il avait envoyés ainsi que par les Rèmes que toutes les troupes belges, après s’être concentrées en un seul endroit, marchaient contre lui et qu’elles n’étaient plus très loin, il se hâta de faire traverser l’Aisne à son armée… »

... César ne veut surtout pas donner à croire qu'il a mis un certain temps à recueillir ces informations. Au contraire, il les a recueillies d'un coup et sans effort, ce qui lui a permis d'agir vite (maturavit).

Interroger des prisonniers, c'est une chose, et recevoir des informations de ses propres éclaireurs ou alliés, c'en est une autre.
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