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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Thursday 20 Dec 18, 18:31 |
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Papou JC a écrit: | On croit savoir maintenant que la création lexicale repose en grande partie sur la découverte que l’homme fait de son propre corps et sur les désignations des diverses parties du corps, qu’il s’agisse du sien ou de celui des animaux de son environnement. |
Comment sait-on cela ? |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 20 Dec 18, 19:09 |
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Sur le rôle des parties du corps dans l’élaboration du lexique, voir Robin Allot, The Physical Foundation of Language (1973).
Cet ouvrage est souvent cité par Georges Bohas.
Les propres travaux de Bohas (pour l'arabe) à partir des dénominations de la langue et du nez, et de leurs fonctions, sont parmi les plus convaincants.
Bohas fait par exemple remarquer la présence du n dans les signifiants du nez d'un très grand nombre de langues. Il dit à peu près ceci, je cite de mémoire : "Cela ne veut pas dire que toutes les langues remontent à une langue originelle, cela veut simplement dire que tous les hommes ont un nez".
Je m'y suis essayé moi-même (pour l'arabe) à partir du mot désignant la main, yad. (Voir mon blog).
Je publierai bientôt sur mon blog la première partie d'un travail en cours sur la gorge et le cou. Les données arabes de ce sujet-ci en sont évidemment extraites.
On jugera sur pièces.
Moi aussi j'ai une question : sur le présent sujet, mes arguments sont-ils convaincants ?
Dernière édition par Papou JC le Monday 23 Dec 19, 7:30; édité 1 fois |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 21 Dec 18, 15:45 |
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Je reconnais que ce que tu as écrit me laisse perplexe, d'où ma question, et je suis plutôt rassuré de voir que cela s'appuie sur des travaux universitaires. Dans l'absolu, je suis incompétent pour juger de ce sujet. L'étymologie des mots latins ou pire, arabes, est trop au-dessus de mes compétences pour que je fasse autre chose que recopier mes sources (que je choisis les plus consensuelles possibles) quand je me risque à en parler. Mais l'idée d'une connexion nécessaire entre le mot et la chose rappelle trop le cratylisme pour ne pas éveiller le scepticisme. Dire que gargouiller est un mot de formation onomatopéique ne me choque pas, mais tes longues listes d'exemples disparates font soupçonner une volonté de trop prouver qui, comme ton admission de variantes multiples (gr, cr, gl, cl...), m'a plongé dans la perplexité. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 21 Dec 18, 16:25 |
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Mes exemples semblent disparates si l'on refuse de les "remonter" à la gorge et à ses deux fonctions, l'alimentaire et la vocale.
Quant aux variantes, elles s'expliquent très bien par les traits phonétiques : g et k(c) sont des dorsales très proches ; r et l sont des sonantes qui alternent fréquemment. Je crois que cet aspect phonétique est le plus connu, le moins discutable. Ta perplexité à son sujet m'étonne, il y a tellement d'exemples et dans tant de langues ! Regarde le cas de second prononcé /segon/ en français ; ou les éclésiastiques de l'Ëglise. Je n'ai pas immédiatement en mémoire des exemples de l'alternance r/l mais je ne doute pas qu'un lecteur en trouvera. Ernout et Meillet eux-mêmes rapprochent gurges et gula. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 21 Dec 18, 17:41 |
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Je ne nie pas ces évolutions phonétiques qu'on connaît trop bien dans l'évolution du latin au roman et du celtique ancien au breton. Mais il ne faut y faire appel que dans un cadre rigoureux : on a des lois qui nous disent dans quels cas k est lénifié en g. Hors d'un tel cadre, il y a un risque méthodologique : celui d'abaisser les contraintes logiques qui pèsent sur ta théorie. Concrètement, tu risques d'être tenté d'ouvrir le Gaffiot aux entrées gr-, gl-, cr- et cl- et de lister tous les mots qui vont dans ton sens, sans prendre garde au biais de confirmation. Encore une fois, certaines de tes intuitions paraissent fondées, mais tu touches à un domaine délicat où il faut être très rigoureux. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 21 Dec 18, 18:13 |
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Oublions cela qui n'occupe qu'une ligne dans mon argumentation, et n'en fait qu'accessoirement partie. Oublions gula et crassus, ce dernier également rapproché de grossus par le DELL.
Quid du reste ? Quid de la seule séquence GR ? |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 23 Dec 18, 9:59 |
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Papou JC a écrit: | Je publierai bientôt sur mon blog la première partie d'un travail en cours sur le gorge et le cou. Les données arabes de ce sujet-ci en sont évidemment extraites. |
C'est fait. Voir la section Du sens aux formes, menu déroulant en haut de la page d'accueil.
Les non-arabisants pourront au moins y admirer le Jacqueline assise de profil de Picasso. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 09 Aug 20, 7:15 |
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À la lumière de deux "mots du jour" récemment étudiés, je crois le moment venu de reprendre ce fil, de le résumer et de le compléter.
À l’époque où le DELL a été composé, l’étymologie de gerere était inconnue . Voici ce que les auteurs en disaient :
Un verbe comme gerō n’a guère de chance d’être emprunté ; mais on ne trouve dans les autres langues indo-européennes rien qui ressemble nettement au *ges- du latin gerō, gestus. [...] Il est exceptionnel qu’un verbe radical aussi archaïque n’ait pas de correspondance hors du latin.
Je fais l’hypothèse que le sens premier de gerere fut celui de « manger, s’alimenter », sens dont témoignent encore les dérivés
ingerere porter dans, introduire, ingérer
digerere répartir les aliments dans l’organisme, digérer
egerere porter dehors, évacuer – egeries excrément
Avec la perte du sème aliment, les emplois de gerere se sont généralisés à tout ce qu’on pouvait porter en soi ou sur soi.
Dans la mesure où ce verbe ne peut guère venir d’une autre racine IE que *gʷerǝ- avaler, il faut lui supposer une forme archaïque disparue *gʷerere qui l’amènerait à être un doublet naturel de vorāre avaler, engloutir, lequel tend lui aussi à être remplacé par le composé devorāre.
Il a eu comme dérivés un certain nombre de formes à redoublement :
gurges gosier (populaire). Formes vulgaires tardives : gurga, gurgus
gurguliō gosier, œsophage
gurgustium mauvaise auberge, gargote
egurgitō vomir, ingurgitō engouffrer, ingurgiter, avaler
... mais aussi, très probablement, la forme simple grūmus gosier.
Son cognat grec βρόξαι [bróxai] avaler, engloutir s’est lui aussi fait remplacer par ses dérivés en ἀνα- [ana-] et κατα- [kata-], et a eu lui aussi comme dérivé une forme à redoublement, βιϐρώσκω [bibrôskô] dévorer, manger avec rapidité.
Une partie de la descendance en usage de cette racine *gʷerǝ- est bien connue. Rappelons-la rapidement :
Branche grecque : brome, bronche
Branche germanique : angl. craw (jabot, gorge, estomac), all. Kragen (collier, cou)
Branche latine : dévorer, vorace, gorge, ingurgiter, etc.
NB : Mon hypothèse permet d’ajouter dans la branche latine des mots issus d’autres formes que celles à redoublement, notamment les mots français en gor- (goret) ou gourm- (gourme, gourmet, etc.) ou espagnols en gorr- (gorra, gorrón). Sans parler des formes anciennes ou régionales en gour-, grou-, gro-, ger-, etc. (Voir Godefroy).
La lignée en vor- s'est éteinte très tôt.
Il reste encore certainement beaucoup d’autres descendants à découvrir. La gorge n'a pas dit son dernier mot.
Peut-être serait-il utile de relire Rabelais (Pantagruel, Gargantua, Grandgousier,...), le grand laryngologiste des Lettres Françaises. |
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AdM Animateur
Inscrit le: 13 Dec 2006 Messages: 896 Lieu: L-l-N (Belgique)
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écrit le Sunday 09 Aug 20, 12:39 |
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Papou JC a écrit: | À la lumière de deux "mots du jour" récemment étudiés […] |
Voir gourme, et gorra. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Sunday 09 Aug 20, 20:47 |
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Le rapprochement de gerō avec la racine *gʷerh₃ est bien évidemment faux. Le DELL avait très correctement identifié un radical *ges-, où le -s- est devenu un -r- à l'intervocalique par un rhotacisme parfaitement régulier et connu de tous les latinistes (cf flos/florem). Dans quantité de mots où ce -s- n'est pas devenu intervocalique, il s'est conservé intact : gestō, gestus, gestiō, gesticulor... rendant impossible toute connexion avec la racine *gʷerh₃. Avec les progrès de la théorie des laryngales, on reconstitue désormais ce radical sous une forme *h₂ǵ-es (de Vaan, 2008) et on le relie au latin agō "pousser devant soi" (< PIE *h₂eǵ-o). |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 886 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Sunday 09 Aug 20, 21:27 |
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Et que pensez-vous d'un rapprochement avec ὀρέγω (orégō), "tendre" (les mains, entre autre), "étendre", provenant de la racine *h₃r-eg ?
[AdM : j'ai ajouté la translittération pour les non-hellénistes.] |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 09 Aug 20, 22:04 |
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Jeannotin a écrit: | Le rapprochement de gerō avec la racine *gʷerh₃ est bien évidemment faux. |
Comme il était "impossible" que grūmus aboutisse à gourme ?
Par ailleurs, je lis chez Watkins que la racine *gʷelə- (qui signifie elle aussi "avaler") a une forme réduite *gel- qui ne semble pas poser de problème. Je ne vois vraiment pas pourquoi *gʷerə- n'aurait pas elle aussi une forme réduite *ger- qui aurait au moins le mérite d'expliquer tous les sens relatifs à l'ingestion de nourriture et de sortir ce verbe gerere de son apparent isolement.
C'est trop simple comme explication ? Pas assez savant ? Pour plus de détails, voir le DELL, p. 284, article gula, dernier paragraphe. Je me contente de recopier les premières lignes : Pour les dissimilations de gʷ- en g- et peut-être de -r- en -l- entraînées par le redoublement, v. Grammont, Dissimilation consonantique, p. 178. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Monday 10 Aug 20, 13:03 |
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Relis la notice du DELL et ce que j'écris sur les mots qui ont gardé le -s- du radical. |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 886 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Monday 10 Aug 20, 13:33 |
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Euh... Pourrait-on répondre à ma question ? |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Monday 10 Aug 20, 13:51 |
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Oui, pardon !
En fait, si l'on admet la métathèse, votre suggestion, bien qu'elle évite un traitement irrégulier *gʷ > g, pose le même problème que celle de Papou. Les mots gestō, gestus, gestiō et gesticulor montrent que gerō, gerere n'est qu'une variante "récente" d'un plus ancien *gesō, *gesere. Et cet ancien -s- ne peut être expliqué par aucune hypothèse qui suppose que le radical était *ger-. |
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