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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Friday 27 Sep 19, 14:21 |
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La baleine, nom générique de plusieurs grands cétacés, la baleine de Minke, la baleine bleue, le rorqual commun et la baleine à bosse, présents dans toutes les mers (sauf la baleine de Minke qui est boréale), y compris en Méditerranée.
Leurs membres antérieurs (nageoires) sont développés comme de petites ailes (grec πτερά), ce qui leur vaut le nom linnéen de Balaenoptera (Megaptera pour la baleine à bosse qui en a de grandes).
Quant à balaena, c'est simplement le nom latin de l'animal, un nom dérivé, en passant par l'illyrien, de son nom grec φάλλαινα [pʰállaina]. L'intermédiaire illyrien, langue morte de la côte orientale de l'Adriatique, est justifié par les difficultés phonétiques à passer du grec au latin (normalement φ > f).
Quant au grec φάλλαινα (parfois φάλαινα avec un ᾱ long), il dépend de la racine eurindienne *bʰel- « grossir, étendre, gonfler » par l'intermédiaire de φαλλός « pénis, phallus » (< *bʰl-no-) avec un suffixe féminin (péjoratif ?) -αινα (cp. λέαινα « lionne », δράκαινα « dragonne »).
Cette racine *bʰel- est celle qui nous donne balle et ballon, via le germanique.
Curieusement, φάλλαινα possède un homonyme qui, lui, désigne un papillon de nuit, notre phalène (une quinzaine d'espèces variées). Liddell&Scott les rangent sous la même entrée : « 1. whale 2. moth » mais Chantraine, considérant impossible d'assimiler les deux animaux, fait dépendre le papillon d'un φαλός « blanc » et donc d'une autre racine *bʰel- « brillant, blanc » (Belenos, Biélorussie, etc.).
Les antiquaires pourront toujours imaginer que ces deux *bʰel- furent d'abord le nom d'une chose blanche qui se gonfle, je laisse à leur imagination le loisir de décider laquelle … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 27 Sep 19, 14:41 |
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Voir la grande famille BALLON. |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 889 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Friday 27 Sep 19, 17:18 |
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Comment s'explique le vocalisme [a] dans le traitement de *bʰel ? |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Friday 27 Sep 19, 23:01 |
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J'avais simplifié. Au degré zéro *bʰl-no- est pour *bʰḷ-no- (avec un L voyelle). Ce ḷ se réalise différemment selon les langues et l'environnement phonétique. Ici, en grec, la réalisation al est banale. Pour les autres langues, consulter les spécialistes.
(par exemple le n voyelle donne a en grec et sanskrit, in en latin, un en allemand, etc.) |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 889 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Saturday 28 Sep 19, 9:36 |
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Ah oui, ça, je le sais, mais même avec des racines au degré plein, on a parfois des a mal expliqués. On se demande en fait si ce a était vraiment un phonème ou une variante expressive de e en i-e. Avez-vous une idée sur la question ? |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Saturday 28 Sep 19, 10:51 |
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Oui, bien sûr !
On devient un peu mais, rapidement :
Il y a des lois générales mais elles peuvent être transgressées après application dans un but de simplification et de constitution de systèmes flexionnels. Nominatifs refaits d'après des cas obliques, le contraire, thématisation, etc. (penser à émotionner qui remplace émouvoir et à bien d'autres …)
Chaque cas doit être étudié
Et, pour compléter mon post précédent à l'intention des autres lecteurs :
l voyelle :
*mld- « mou », skr. mṛdu- « tendre », gr. bladarós « flasque », amaldúnō « affaiblir », lat. mollis [< *molduis] (fr. mou).
*mlg- « traire », skr. mṛjanti « ils enlèvent en frottant », lat. mulgeō (v.fr. moudre « traire », it. mungere),
celt. *mligo- (v.irl. mligim) |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 29 Sep 19, 7:43 |
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Outis a écrit: | Quant à balaena, c'est simplement le nom latin de l'animal, un nom dérivé, en passant par l'illyrien, de son nom grec φάλλαινα [pʰállaina]. L'intermédiaire illyrien, langue morte de la côte orientale de l'Adriatique, est justifié par les difficultés phonétiques à passer du grec au latin (normalement φ > f). |
À noter qu'il n'y a que le grec et les langues romanes pour désigner ainsi la baleine.
- La branche slave, d'après ce que j'ai pu comprendre, utilise un mot sonnant plus ou moins comme /kit/ sur lequel un slavisant aura certainement des choses intéressantes à dire.
- La branche germanique utilise le thème *(s)kwal-o-. Je me contenterai de recopier (sans traduire, c'est transparent) ce que Etymonline dit de l'anglais whale.
"animals of the mammalian order Cetacea," Old English hwæl "whale," also "walrus," from Proto-Germanic *hwalaz (source also of Old Saxon hwal, Old Norse hvalr, hvalfiskr, Swedish val, Middle Dutch wal, walvisc, Dutch walvis, Old High German wal, German Wal), from PIE *(s)kwal-o- (source also of Latin squalus "a kind of large sea fish"). In popular use it was applied to any large sea animal. On voit d'où vient le français squale.
- La branche indo-iranienne, à partir des quelques sondages que j'ai pu faire, semble bien elle aussi avoir recours au thème *(s)kwal-o-.
Outis a écrit: | Chantraine [...], fait dépendre le papillon d'un φαλός « blanc » et donc d'une autre racine *bʰel- « brillant, blanc » |
Sur cette racine, voir blanc, bleu, blond. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 29 Sep 19, 8:58 |
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En sanskrit, baleine se dit timi, nom sans étymologie (nicht genügend erklärt) qui désigne aussi un monstre marin long de 100 yojanas (250 miles ou +*) ou tout très très gros poisson.
La curiosité, c'est qu'il existe un autre monstre marin, encore plus grand, nommé timiṃgila « qui avale la baleine » et un troisième, timiṃgilagila « qui avale le timiṃgila ».
(*) yojana < *ieu-g- (cf. angl. yoke) est la distance parcourue sans dételer. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 29 Sep 19, 9:07 |
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Citation: | … à partir des quelques sondages que j'ai pu faire |
Quelques sondages dans la branche indo-iranienne ! Vous en savez plus que Pokorny ou même votre cher Watkins. On aimerait partager vos connaissances … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 29 Sep 19, 9:27 |
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gujarati Vhēla
népalais Hvēla
pendjabi Vēla machī
persan wāl
télougou Vēl
thaï Wāḷ
birman waylangarr (?)
... mais je n’exclus pas la possibilité que ces mots - sauf le persan wāl (variante āl) - soient des emprunts relativement récents à l’anglais whale. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 29 Sep 19, 9:39 |
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Bien que j'ignore tout de ces sept langues (pas toutes indo-iraniennes), ça me semble une évidence, y compris pour le persan. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 29 Sep 19, 10:05 |
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L'arabe بال bāl “baleine” est attesté depuis le Moyen-âge. (Voir Lane, Book I, p. 277, 2e colonne, p. 314 du PDF). L'arabe est-il un emprunt au persan vāl comme l'affirment les sources de Lane, ou est-ce le contraire ? (En persan moderne, je ne crois pas ce mot soit encore très utilisé. La baleine est maintenant plutôt désignée par le mot nahang.) Et le persan, qui disposait du b, n'aurait eu aucune raison d'en faire un v (w). Si l'arabe (qui n'est pas d'origine sémitique) était un emprunt au grec ou au latin, il n'aurait pas tronqué le mot si radicalement pour n'en garder que la première syllabe. Bref, tout plaide en faveur d'un vāl persan médiéval. Ce qui rend très douteux un emprunt à l'anglais.
Et si le persan est médiéval, on peut légitimement s'interroger sur la langue d'origine des autres langues que j'ai citées plus haut. Il faut se méfier des évidences, n'est-ce pas ? |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 29 Sep 19, 11:42 |
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Resterait à expliquer l'amuissement des consonnes initiales de *(s)kwal- en persan ! Sauf à supposer qu'ils l'aient emprunté à une langue germanique, je n'y vois que fariboles …
Je ne vois pas non plus de difficultés à ce que l'arabe bāl dépende du grec ou du latin, les féminins φάλλαινα et balaena sont de la langue littéraire, celle des pêcheurs (qui devaient prendre peu de baleines) a pu simplifier ces mots toujours sentis comme dérivés de φαλλός.
Non, je pense que la branche germanique reste ici isolée ; l'opinion de Pokorny qui la considère comme un emprunt finno-ougrien tient beaucoup mieux la route. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11171 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 29 Sep 19, 12:06 |
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C'est bien possible. Pour l'arabe bāl, j'aimerais quand même bien pouvoir assurer son origine latine sur quelques autres exemples. Les informateurs de Lane ont pu se tromper, comme tout le monde. Je vais faire une petite recherche. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3510 Lieu: Nissa
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écrit le Sunday 29 Sep 19, 16:33 |
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Les Grecs ont peu parlé de baleines, ne fréquentant guère que les dauphins comme mammifères marins. Un passage des Guêpes d'Aristophane reste trop obscur pour moi et j'ai dû me rabattre sur un géographe, Strabon, quand il parle de la Turdétanie, région atlantique de l'Espagne (ancienne Tartessos, proche de Cadix) où les animaux marins seraient plus gros qu'en Méditerranée : Strabon, III.2.7 a écrit: | Ὡς δ' αὕτως ἔχει καὶ περὶ τῶν κητέων ἁπάντων, ὀρύγων τε καὶ φαλαινῶν καὶ φυσητήρων, ὧν ἀναφυσησάντων φαίνεταί τις νεφώδους ὄψις κίονος τοῖς πόρρωθεν ἀφορῶσι·
II en est de même, au reste, pour les différentes espèces de cétacés, pour les orques, les baleines et pour les souffleurs : on sait que le nom de ces derniers vient de ce que, quand ils soufflent ou respirent, ils semblent à qui les voit de loin lancer en l'air une colonne de vapeur. |
• κῆτος tout monstre marin ou gros poisson, a été dit de phoques, de thons ou du monstre qui menaçait Andromède ; c'est le mot ayant donné cétacé ;
• ὄρυξ outre la belle antilope (fresque de Santorin), il peut s'agir ici du narval (Monodon monoceros) ou d'une espèce de baleine (Liddell-Scott) ; l'orque est aussi cité mais Strabon n'en dit pas plus et il est le seul à en parler, Hésychius n'apportant rien : <ὄρυξ>· λαοξοϊκὸν σκεῦος. ἢ *σκαφίου εἶδος. καὶ ἰχθῦς. καὶ ζῷόν ;
• φάλαινα voir plus haut ;
• φυσητήρ instrument pour souffler, souffleur, sorte de baleine.
En fait, avec la description de son évent, c'est ce dernier mot, plus que φάλαινα qui doit désigner une baleine ! La baleine n'intéresse guère que les pêcheurs de baleines … |
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