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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 09 Aug 20, 10:08 |
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Je crois que tu confonds "démarche intuitive" et "démarche accordant au moins autant d'importance au sens qu'à la forme", sinon plus.
C'est ça la démarche de Guiraud, et oui, c'est aussi la mienne.
Je trouve abusif d'exclure le sens du champ de la science. Il ne faut pas confondre la sémantique et la cartomancie.
Ce qui est peu scientifique c'est de vouloir à tout prix ne faire reposer l'étymologie que sur la phonologie. C'est une vision très réductrice de la vie du lexique.
J'espère ne pas être bêtement enthousiaste. Pour information, mes études de lexicologie arabe s'appuient toutes sur des données où sont pris en compte à la fois la forme et le sens, ensemble. À ce jour, elles n'ont pas été contestées. J'essaie de faire bénéficier l'indo-européen de ma démarche, mais ce n'est pas facile... Les gardiens du temple veillent ! |
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Cligès
Inscrit le: 18 Jul 2019 Messages: 886 Lieu: Pays de Loire
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écrit le Sunday 09 Aug 20, 12:30 |
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Pour ma part, je suis (un peu) spécialisé en langues et littératures médiévales, c'est dire que j'accorde une grande attention au sens ; mais si la lexicographie ne peut se passer de la mise en contexte (combien de fois avons-nous constaté que le dictionnaire ne nous offre presque jamais le sens adéquat au texte qu'on lit), pour la recherche étymologique, je privilégierais la forme. Les glissements de sens peuvent être plus ou moins importants et ne prouvent rien : la preuve en est que le sens seul ne peut nous permettre de départager ici *exfridare et *exfretare. Il ne faut certes pas l'évacuer, mais l'utiliser avec prudence : qui eût cru que tuer remontât à *tutare ??
Pour ce qui est de l'étymologie, j'avoue que je fais confiance aux savants en renom malgré leur ancienneté (et bien que souvent ils copient les uns sur les autres). L'intuition est nécessaire dans la science, et bien sûr aussi l'imagination ainsi qu'une attitude critique, mais il faut toujours démontrer ce qu'on avance. Avez-vous lu des articles de revues ? Je n'en ai pas beaucoup lu sur les étymologies, mais dans le domaine de la phonétique, pour une hypothèse formulée sur un simple petit morphème, il y a une ou deux pages de rapprochements avec des langues anciennes ou modernes, des études phonétiques qui supposent parfois un gros travail de dépouillement, et bien sûr de multiples références à des travaux antérieurs ou contemporains... La recherche, c'est du sérieux.
C'est mon opinion ; encore une fois, je ne cherche nullement à semer la pagaille dans un site de si haut vol.
C'était à embaterienne de répondre : il/elle ne m'en voudra pas ! |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Monday 10 Aug 20, 13:19 |
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Ce qui me fait rejeter l'étymologie grūmus > gourme, ce n'est pas l’abrègement du -ū- qui n'est qu'une difficulté de plus, mais non décisive, qui s'oppose à cette étymologie. Elle est non seulement incapable d'expliquer les formes méridionales en v- et b-, mais elle ne peut non plus expliquer certains sens de ce mot qui désigne localement d'autres maladies que des maladies respiratoires, sens qui n'est qu'une spécialisation. Seule l'étymologie *worm > gourme et le premier stade de l'évolution sémantique "pus" > "maladie purulente" > "morve" peuvent expliquer des sens aussi bien attestés par le FEW que :
Sav. gourmo "grosseur qui vient au cœur des vaches"
Bessans bormo "gros furoncle"
Lyon id. "pus"
Albertv. gueurme "grosseur qui vient au cœur des vaches"
Aussois gourmo "grosseur qui vient sous le membre des animaux"
Saintes vor "pus qui sort d'une plaie"
RhôneS. bòrmuo "furoncle"
Afr. gorme f. "écrouelles"
centr. "gourme ; toute espèce d'humeur rejetée au dehors"
Cum. gourme "oreillons"
Metz gorme "croûte de lait des enfants"
et caetera
(j'ai adapté en graphie latine les mots écrits en alphabet des romanistes) |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Monday 10 Aug 20, 17:32 |
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Je ne nie pas que tous ces mots soient issus de *worm, tout comme l'est le gourme de jeter sa gourme, je l'ai dit plus haut.
Mais je postule l'existence d'un radical *gorm- issu d'ailleurs qui a engendré une série parallèle d'homonymes ayant une relation claire et directe avec la gorge. Car je ne vois pas que cette série puisse elle aussi être issu de *worm. Ça me semble tout simplement sémantiquement impossible. Il y a en étymologie des obstacles phono-morphologiques mais il y a aussi des obstacles sémantiques. Si la chaine est trop compliquée, dis-tu, c'est qu'il y a un problème. Eh bien c'est aussi vrai du sens que de la forme.
Toute la question est cet "ailleurs". D'où vient donc ce radical gorm- que l'on retrouve dans tant de mots où il n'est plus question ni de morve ni de pus mais d'avaler, de manger, de dévorer, d'ingurgiter, de gourmandise, de gloutonnerie, etc. etc. ? Essaie, je t'en prie, de répondre à cette question. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Thursday 13 Aug 20, 10:41 |
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Jeannotin a écrit: | Tu parles de mots comme gourmet, gourmand ou groom ? Je n'en parlais pas car ils n'ont pour moi aucun lien avec la gourme si ce n'est l'erreur de Giraud ; il faudrait ouvrir un autre fil à ce sujet. Ce radical commence clairement par un g- puisqu'il n'y a pas d'alternance dialectale avec des formes en v-. Meyer-Lübke tentait déjà d'expliquer ces mots par grūmus, sur quoi j'ai déjà exprimé mes réserves que seule une référence plus récente pourrait lever. Le FEW fait remonter ces mots à un ancien anglais grom (sans astérisque), mais il n'est pas clair que le mot soit vraiment d'origine germanique ni même qu'il soit correctement attesté dès l'ancien anglais. Je n'ai cependant pas accès à des ressources de qualité pour l'étymologie des mots anglais. |
La discussion sur cet autre radical gourm-, homonyme mais distinct par son origine et ses sens, se poursuit sur le MdJ groom, gourmet, gourmand. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 13 Aug 20, 14:47 |
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À cause de deux erreurs, nous avons trop longuement discuté à propos d’un vieux mot caché au sein d’une vieille expression : gourme dans jeter sa gourme.
1. La première erreur fut d’ouvrir un mot du jour gourme au lieu d’insérer l’expression jeter sa gourme dans le fil ad hoc.
En effet, la notice du TLF consacrée à gourme montre bien que ce mot n’a que son sens médical de maladie propre aux équidés et qu’il ne subsiste guère que dans l’expression jeter sa gourme, au sens propre en parlant d’un jeune cheval atteint de cette maladie qui finit par s’en débarrasser, et au sens figuré de « faire des folies de jeunesse ».
L’origine du mot a été clairement établie : de l'ancien bas francique *worm [ou *wurm] « pus » que l'on peut restituer d'après l'ancien haut allemand wurm « id. » et le néerlandais worm « id. », répandu très tôt dans le reste de la Romania. (TLF).
Jeannotin nous a donné plus haut une longue liste de mots régionaux apparentés à gourme :
Sav. gourmo "grosseur qui vient au cœur des vaches"
Bessans bormo "gros furoncle"
Lyon id. "pus"
Albertv. gueurme "grosseur qui vient au cœur des vaches"
Aussois gourmo "grosseur qui vient sous le membre des animaux"
Saintes vor "pus qui sort d'une plaie"
RhôneS. bòrmuo "furoncle"
Afr. gorme f. "écrouelles"
centr. "gourme ; toute espèce d'humeur rejetée au dehors"
Cum. gourme "oreillons"
Metz gorme "croûte de lait des enfants"
2. La deuxième erreur, dans laquelle je me suis engouffré, fut commise par Pierre Guiraud qui crut pouvoir ranger gourme dans une liste de mots commençant par gourm- et qui avaient tous un rapport avec la gorge. Guiraud n’imaginait pas qu’il puisse y avoir diverses origines pour ce même radical. Comme beaucoup d’autres savants et moins savants, Guiraud a été victime de l’homonymie. Je m'en suis assez vite rendu compte. (Voir mon post du 29 juillet, 18.18).
Je pense que sur jeter sa gourme, l’affaire est maintenant entendue et qu’il pourrait être sage de renommer ce fil et de le transférer dans "Expressions, locutions, etc."
Dans un deuxième temps, rien n’interdit d’ouvrir un fil consacré par exemple au très usuel mot anglais worm (ver) dans lequel on s’intéresserait à la parentèle de gourme, y compris à ses propres dérivés.
Quant au radical gourm- « gorge » de Guiraud, il faudra bien évidemment en parler aussi mais ailleurs. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Thursday 13 Aug 20, 19:02 |
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J'approuve ce très bon résumé, à ceci près que pour moi gourme n'est pas un vieux mot
Je l'emploie assez souvent en breton sous sa forme grom [gʁõm], emprunt au français avec métathèse. Il est vrai que c'est toujours avec des agriculteurs qui ont l'âge d'avoir travaillé avec des chevaux. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11166 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 13 Aug 20, 19:08 |
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NB : Par "vieux mot", je voulais dire qu'il avait une certaine ancienneté, non qu'il était obsolète ou "vieilli". Idem pour "vieille expression". |
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