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FINNOIS : Les saisons et les mois - Langues du monde - Forum Babel
FINNOIS : Les saisons et les mois

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Cligès



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Messageécrit le Friday 10 Sep 21, 14:13 Répondre en citant ce message   

A - Puisque nous sommes encore en été, nous commencerons par cette saison.

Le mot qui signifie "été", kesä [kesæ] est emprunté aux dialectes du Sud-Ouest de la Finlande ; il ne signifie pas originellement « été », mais « jachère ». Dans ces dialectes, notamment dans la région du Häme, le mot pour dire « été » est anciennement suvi [suvi], d’origine ouralienne. Ce mot figure aussi dans la langue standard, mais il est considéré comme vieilli(1). En revanche, c'est le terme habituel en estonien.

Le mot kesä entre dans la composition d’un grand nombre de mots comme kesähelle [kesaɦelle], « canicule », kesäjuhlat [kesæjuɦlat], « festival estival » kesäaika [kesæɑikɑ], « heure d’été », et surtout kesäkuu [kesæku:], « juin ».

Les mois d’été ne posent pas de difficiles problèmes étymologiques, comme ce sera le cas d’autres noms de mois.

Tous les noms de mois se terminent par -kuu [ku:]. Ce mot, d’origine ouralienne, se retrouve – avec des variantes phonétiques – dans toutes les langues fenniques. Comme dans de nombreuses langues, il possède le double sens originel de « lune » et de « mois » (cf. le mot russe месяц [m’es’ets]). La langue moderne a conservé le premier sens, alors que « mois » se dit de nos jours kuukausi [ku:kɑusi], mot à mot : « période de lune », «lunaison ».

Le nom du mois de juin, kesäkuu, est donc pour tous le « mois-été » par excellence, dont le point culminant est la fête de la Saint-Jean, Juhannus, [Juɦɑnnus] et du solstice d’été, kesäpäivänseisaus [kesæpæivænseisɑus]. Mais il s’agit plutôt là d’une étymologie populaire ; en fait, le mois de juin était anciennement, dans le Sud-Ouest et le Häme, le mois où l’on faisait le premier labour de la jachère (sens local de kesä, comme on l’a vu), avant d’effectuer un second labour et de semer le seigle d’hiver, au début du mois de septembre.

Passons à juillet, qui se dit heinäkuu [ɦeinæku:] ; heinä, qui signifie « foin » est un emprunt au balte. Je n’ai pu retrouver l’étymon ancien, mais en lituanien moderne, « foin » se dit šeinas. La parenté avec le russe сено [s’eno] semble évidente, mais hélas, l’étymologie de ce dernier n’est pas parfaitement établie (faut-il rapprocher le mot de сеять [s’eit’] « semer » ou de сечь [s’etch] « battre avec des verges » ou « tailler » ?). Quant au rapprochement de šeinas avec le latin fenum/fænum, auquel on pouvait songer, il est jugé « peu vraisemblable » par Vasmer (auteur d’un dictionnaire étymologique du russe dont je ne possède hélas que l’abrégé).
Quoi qu'il en soit, ce mois est celui de la fenaison, comme son nom l’indique !

Août se dit elokuu [eloku:]. Le premier élément, elo est encore usité dans le sens de « vie » ou de « vivacité ». Le sens ouralien de ce terme semble lié à la fructification, spécialement celle du grain(2). Elokuu est donc le mois de la moisson, de l'orge ou même du seigle de printemps, ce dernier plutôt exceptionnel aux temps anciens, mais possible sur les rares terres limoneuses. On retrouve l’élément elo- dans le composé elopelto, mot à mot « champ de vie », c'est-à-dire champ dont les céréales sont prêtes pour la récolte. Le mois d'août est d’autre part une bonne période pour récolter les airelles rouges (puolukka [puolukka](3)).

On le voit, le nom des mois d’été et le nom même de la saison, tous formés d'éléments anciens(4), sont liés à l’agriculture, activité vitale dans un pays enclavé, au sol souvent ingrat et dont le climat est très rude, à l’exception du Sud-Ouest et de la frange littorale de l’Ostrobotnie, là où sont aujourd'hui les villes principales du pays.


(1) Ma culture étymologique du finnois provient presque exclusivement des notices du dictionnaire finnois de wikipédia (Wikisanakirja) ; j’ai également consulté quelques articles en ligne.

(2) La Finlande ancienne ne pratique guère d’autre culture en champ.

(3) Comme on constate, le finnois s'écrit comme il se prononce... L'accent tonique, de moyenne intensité, frappe la première syllabe ainsi que l'une des syllabes impaires des mots longs (nombreux).

(4) On remarquera que les noms de mois, du fait qu'ils échappent à l'harmonie vocalique, ne sont pas primitifs ; c'est pourquoi je parle d'éléments.

(A suivre)


Dernière édition par Cligès le Saturday 16 Oct 21, 10:33; édité 2 fois
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Cligès



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Messageécrit le Friday 15 Oct 21, 20:10 Répondre en citant ce message   

B - L’automne

Nous sommes entrés dans l’automne depuis presque un mois, et la fraîcheur commence à se faire sentir sérieusement en Finlande, sauf au Sud.

L’automne se dit syksy [syksy], mot qui a supplanté un plus ancien syys [sy:s], uniquement utilisé de nos jours en poésie (et seulement au nominatif), ainsi que dans les mots composés comme syyspäiväntasaus [sy :spæivæntɑsɑus], « équinoxe d’automne » ou l’intraduisible syystalvi, littéralement « automne-hiver », période de novembre au cours de laquelle l’automne passe – parfois brutalement – la main à l’hiver.
On peut penser que syksy est dérivé de syys, mais les spécialistes posent en fait deux étymons en finno-ougrien : *süksü pour syksy et *sügis pour syys, qui a aussi donné le mot hongrois ősz [ø :s], de même sens. On est fondé à supposer que les deux étymons sont apparentés, mais je ne trouve pas plus à dire sur la question.

Le composé de syys le plus courant reste syyskuu [sy:sku:], le « mois-automne », c'est-à-dire tout bonnement septembre ! Voilà au moins un rapport sémantique clair, propre à nous dispenser a priori de tout autre commentaire.
Ce ne sera cependant pas tout à fait le cas. Pourquoi ? Parce que syyskuu est le mois de la ruska, phénomène bien connu dans toutes les régions subarctiques, et en particulier en Laponie. La ruska est la période où la végétation prend des couleurs flamboyantes avant de s’ensevelir sous la chape hivernale ; nos amis canadiens connaissent aussi cette période féerique qui voit les feuilles des érables virer au rouge vif. Point d’arbres dans la toundra, au Nord du lac Inari, si ce n’est des bouleaux nains, mais partout un tapis rubescent sur les espaces immenses caressés par le vent...
Le mot ruska est un emprunt au same ruški (le finnois ignore les chuintantes sauf dans les emprunts récents), apparenté au finnois ruskea qui signifie « marron », mais dont le sens primitif peut avoir été « (brun -) rouge » (la désignation ancienne de la Mer Rouge est Ruskeameri). Ruskea, étonnamment proche de notre mot « roux », semble avoir été emprunté au balte : en lituanien, « brun » se dit en effet ruda et « rouge » raudona ; les deux dérivent de la racine indo-européenne bien connue *rew – dh qui a donné ruber en latin et ἐρυθρός en grec.

Le mois où nous sommes se nomme lokakuu ; loka est un mot purement fennique qui signifie « boue », « fange », mais aussi « souillure », au sens physique comme au sens moral. Certes, octobre peut être pluvieux ou surtout neigeux, et des périodes de redoux peuvent amener des dégels partiels, mais j’ai toujours pensé que le mot aurait plutôt convenu au mois d’avril, où le grand dégel (suojassää), dans le Centre et le Sud, transforme nombre de chemins et de pistes en fondrières…

Le troisième mois de la saison a reçu le nom lugubre de marraskuu (faites bien sentir les deux rr), puisque marras est un vieil adjectif qui signifie « mort » ; on le retrouve dans le composé marraskesi, « épiderme » (litt. « peau morte »). Si, frappé par sa ressemblance de marras avec le mot « mort », on songe à un emprunt à une langue indo-européenne (un de plus !), on risque d’avoir raison, puisque le mot, dont le radical est marta-, se rattacherait, par l’intermédiaire de l’indo-iranien, à la racine *mer qui, au degré réduit et pourvue du suffixe -t-, a donné mors en latin (< *mr̥-t-(i)-s), βροτός (mortel) en grec (< *(m)br̥-to-s, avec une épenthèse), et *sъmьrtь (*su – murtu, « bonne mort ») en vieux-slave (r. mod. смерть [sm’ert’]).
Rien d’étonnant à cela : marraskuu n’est-il pas le mois qui voit la mort temporaire de la nature ensevelie sous le froid, le silence et la nuit ? A la latitude du lac Inari, le soleil ne reviendra que fin février… Si le froid n’est pas encore trop intense et si la lune vous sourit, allez marcher un peu dans la neige jusqu’à l’orée de la forêt (n’y pénétrez pas !), vous apercevrez peut-être à quelque distance une ou deux silhouettes vaporeuses qui passeront dans un rayon de lune avant de s’évanouir sur les bords du lac gelé : vous vous souviendrez alors que marras signifie aussi « mort-vivant ». Mais peut-être ne sera-ce que le brouillard qui monte…
Allez savoir !
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Cligès



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Messageécrit le Monday 27 Dec 21, 16:15 Répondre en citant ce message   

C - L'hiver

1° La saison.
Le mot pour dire « hiver » est talvi. De même que l’estonien talv et le hongrois tél, ce mot remonte à la racine finno-ougrienne *tälvä. L’hiver, faut-il le rappeler, est la saison du froid : - 30 en Carélie, jusqu’à - 40 dans sur certaines parties du parc Urho Kekkonen. C’est aussi la nuit pour une assez grande partie du pays : au moment du solstice, le soleil ne paraît que quelques jours à Rovaniemi, presque sur le cercle polaire arctique (napapiiri) et disparaît de la fin novembre à la mi-janvier à Utsjoki, tout en haut de la carte (69,5° de latitude). Mais on se rattrapera en été !

2° Les mois.

a) Le mois de décembre a pour nom joulukuu. Comme son nom l’indique, c’est le mois de Noël (Joulu). Ce mot est soit directement issu du vieux-norois jôl, soit emprunté plus tardivement à une langue germanique, mais avant l’ère chrétienne semble-t-il. Il reste des traces de ce mot dans toutes les langues germaniques, notamment en anglais, qui conserve le mot dans yule log, la bûche de Noël. Une intéressante discussion sur ce sujet a eu lieu sur Babel :

http://projetbabel.org/forum/viewtopic.php?t=14060

A l’origine, Joulu désigne la fête de l’hiver, aux alentours du solstice (talvipäivänseisaus). La christianisation la convertira en fête de Noël comme dans d’autres pays.

b) Le mois de janvier a reçu le nom de tammikuu. Tammi désigne le chêne, qui pousse surtout dans le Sud du pays. En quoi peut-il bien être le symbole du mois ? On n’a pour l’expliquer qu’une interprétation traditionnelle dont il faut ici se contenter. Le bois de chêne servant à fabriquer des moyeux, des essieux ou des axes de meules, on aurait assimilé le solstice au « pivot » de l’année, passé lequel la promesse du retour du soleil commence à se concrétiser. Partant de l’idée de barrière, on met aussi en avant l’idée de limite, donc de « frontière » (cf. la discussion sur Babel), ce qui revient finalement au même.

c) Le mois de février a reçu le beau nom de helmikuu. C’est le « mois de la perle » : helmi. Ce mot viendrait d’un ancien dialecte du Sud, comme le nom de l’été (kesä) (le groupe -lm- n’est pas courant en finnois central). Ce n’est probablement pas un emprunt, aucune langue de pays situés autour de la Mer Baltique ne nous fournissant de source possible ; de plus, le -i final redevient -e au cours de la déclinaison alors qu’il aurait sans doute persisté dans le cas contraire.
Mais pourquoi citer la Mer Baltique ? Parce que le sens de « perle » est secondaire : à l’origine, le mot désigne l’ambre, ou tout au moins la « perle d’ambre », goutte de résine fossilisée. Quel peut bien être alors le rapport avec le mois de février ? L’ambre n’est certes pas un produit saisonnier ! C’est là qu’intervient la poésie : il se serait agi d’évoquer ainsi les gouttelettes de glace qui décorent les arbres et la végétation. Le mot helmi se prêtant aisément à toutes sortes de métaphores (dont « perle de rosée »), tout est possible… D’autant qu’imaginer ainsi une sorte de cristallisation de l’hiver ne contredit pas la réalité : certaines années, la première moitié du mois connaît les froids les plus intenses.

Il a existé au XIXème siècle un prénom féminin Helmi, qui semble le calque de l’anglais Margaret (emprunté au français Marguerite formé sur le grec μαργαρίτης, "perle" par l’intermédiaire du latin(1)). En revanche, le prénom germanique Helmi, variante de Helmut, n’a aucun rapport avec notre sujet.

(1) Et comme l’origine lointaine du mot semble persane, on peut vraiment dire qu’on ne forme qu’une grande famille !
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Cligès



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Messageécrit le Saturday 19 Mar 22, 18:42 Répondre en citant ce message   

KEVÄT ON TULOSSA !



Eh oui, le printemps arrive !

A) Le mot qui sert à le désigner : kevät (rad. kevää-), repose sur une racine commune à presque toutes les langues finno-permiennes (estonien kevad, same commun giđđa< *keva, etc…). On trouve aussi anciennement le mot touko, « semailles » dont nous parlerons ultérieurement. Ce mot a pu influencer le balte kovas, nom donné au mois de mars.

Le nom kevät entre dans la composition de nombreux mots, comme le très attendu kevätjuhla, qui désigne la fête de fin d’année, début traditionnel des congés scolaires, ou le moins agréable kevättulva, « crue printanière » en passant par le kevätväsymys, qui désigne la fatigue printanière dont les enseignants décèlent si facilement les symptômes chez leurs élèves…

Comme pour l’automne, Il existe aussi des composés très commodes pour désigner le début et la fin de la saison ; le début : kevättalvi, mot à mot « printemps-hiver » et la fin : kevätkesä, « printemps-été ». Ces périodes méritent d’être distinguées, car de l’une à l’autre, le climat change du tout au tout…. Dans la plupart des régions en effet, le mois de mars appartient encore à l’hiver ; le printemps commence vraiment en avril, voire au début de mai au Nord et à l’Est, avec la fonte des neiges et la pousse des feuilles.


B) 1° Le mois de mars a pour nom maaliskuu. Si l’on songe à Mars, on a tort (comme moi avant de faire ces petites recherches) ; on aurait par contre raison pour l’estonien märtsil.

L’étymologie du premier élément maalis- n’est pas absolument établie. Deux hypothèses se présentent :
a) L’explication traditionnelle fait dériver le premier élément de maallinen (rad. maalise-), « terrestre », lui-même tiré de maa « terre ». Pourquoi cette origine ? Parce que, comme le dicton l’affirme, maalisku maata näyttää : « mars révèle la terre », bien sûr du fait de la fonte des neiges. C’est là une explication simple et vraisemblable, du moins pour le sud du pays.
b) Une autre explication, jugée moins plausible de nos jours, essentiellement pour des raisons phonétiques, avait la faveur d’Elias Lönnrot, auteur du fameux Kalevala (1835-1840). Le nom du mois dériverait de mahla, « sève (du bouleau) » qui aurait formé le nom du mois de mars en vieil estonien.

La question reste ouverte, comme en témoignent d’autres étymologies plus ou moins fantaisistes (ce n’est pas moi qui les juge telles). Ajoutons que ni l’estonien, qui emprunte le terme märtsil à l’allemand ou au suédois, ni les langues baltes ne nous fournissent ici aucun indice.

Avril se dit huhtikuu et dérive du nom huhta, d’origine dialectale, qui signifie « brûlis ». On retrouve ce mot, plus ou moins transformé, en Mordve (langue parlée à l’Ouest de la Volga). Il proviendrait d’un ancien emprunt à l’iranien, que je n’ai pu contrôler. Comme on le sait, l’iranien est une langue indo-européenne, mais fortement teintée d’éléments sémitiques. Si un arabisant a une idée, je la transmettrai aussitôt au Suomen Akatemia (je dis « au » parce qu’il n’y a pas de genre en finnois).
Le brûlis, comme on le sait, prépare traditionnellement la terre à la culture en un mois où la propagation du feu n’est pas trop à craindre.

Le plus beau mois de la saison a pour nom toukokuu, et dérive de touko, qui signifie « semailles », mot qui semble se rattacher à une racine finno-ougrienne *towke, parallèle à kevät, servant aussi à désigner le printemps, et d’où proviendrait le mot hongrois tavasz.

Il est compréhensible que ce dernier mois du printemps civil soit celui où commencent les semailles des cultures d’été. Celui aussi où le soleil commence à semer ses grains de lumière sur le granit, les lacs et la forêt. Bientôt les vacances scolaires (koululomat), le 4 juin cette année, et la promesse d’un été sans fin…

Notre parcours se termine ! Comme vous l’aurez constaté, le nom des mois en finnois, en dépit de certaines étymologies obscures, provient clairement de la nature, vénérée par les Finnois, et de l'agriculture, première activité de tous les peuples. Les temps ont changé, bien sûr, mais contrairement à presque tous les peuples européens, les Finnois sont restés attachés au désignations traditionnelles des mois et n’ont pas adopté les noms latins, comme leurs frères estoniens.
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