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emere (latin) - Le mot du jour - Forum Babel
emere (latin)
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Outis
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Messageécrit le Sunday 18 Jul 10, 11:31 Répondre en citant ce message   

L'infinitif emere, ou emō à la première personne du présent, est l'entrée des dictionnaires d'un verbe latin qui a essentiellement deux sens :

- un sens proto-historique : « prendre », qui n'est attesté que dans les œuvres des grammairiens latins mais qui survit dans le plus grand nombre de dérivés ;

- un sens classique : « acheter », c'est-à-dire « prendre contre argent », une évolution sémantique banale que l'on constate encore aujourd'hui où, dans un contexte commercial, « je prends » peut se dire pour « j'achète ».

La reconnaissance des formes n'est pas toujours évidente car elle est troublée par deux types d'altérations.

- l'initiale vocalique e- (issu de *h₁e) interagit avec les préfixes, soit en allongeant la finale de ceux qui se terminent par une voyelle : *pro-h₁m-ō > prōmō, soit, pour les autres, en subissant l'apophonie « e > i » des syllabes intérieures ouvertes : *ex-h₁em-ō > *exemō > eximō ;

- quand un suffixe commençait par une des trois consonnes l, s ou t, la difficulté d'articulation du groupe conduit à cesser la nasalisation du m un peu avant de changer le point d'articulation, d'où l'apparition d'un p (dit épenthétique) ; par exemple, pour le supin du verbe simple, *h₁ēm-tu-m > ēmptum ;

- mais, attention, quand le p épenthétique apparaît, la syllabe n'est plus ouverte et l'apophonie (historiquement postérieure) n'a plus lieu : *ex-h₁em-ō > eximō mais, avec le suffixe -lo- : *ex-h₁em-lo-m > *exemplum.

À partir de ces quelques remarques, et avec l'aide essentielle du Dictionnaire étymologique de la langue latine de Ernout et Meillet, nous pouvons examiner la très riche famille de ce verbe emere, en commençant par les dérivés tardifs (il y en a moins) où ce verbe a déjà le sens de « acheter ».

Dérivés de emere « acheter »

On a, bien sûr, les classiques emptio, -ōnis « achat » et emptor, -ōris « acheteur » qui a même un féminin, emptrix « acheteuse » dans le code de Justinien (VIe s.), mais aussi des fréquentatifs emptitō « acheter souvent », emāx « qui aime à acheter, grand acheteur », qui s'opposent pour le sens et la forme à venditō « chercher à vendre » et uendāx « qui aime à vendre ».

Par rapport à un cōmō ancien (< *co-h₁m-ō) que nous verrons plus loin, coemō (< *co-em-ō) se signale comme récent (plus aucune trace du caractère consonantique de la laryngale), le sens est encore « acheter » avec éventuellement, mais non nécessairement, des nuances comme « en commun », « en bloc, en masse ». Un dérivé très important pour le droit romain est le mariage par coemptio, une des trois formes de mariage à Rome, où avait lieu un achat fictif de l'épouse (co- est pour le fait de mariage, -emptio pour le mode ; pour plus d'éclaircissements, voir G. Dumézil, Mariages indo-européens, pp. 47 et ss.).

Avec le préverbe red- (forme de re- avant voyelle, donc, là aussi, dérivé tardif) on a redimō « racheter », d'où « racheter un captif, délivrer, affranchir » (mais aussi « prendre à ferme » pour des raisons qui dépassent la compréhension du béotien de la phynance que je suis). Les dérivés redemptio « action de racheter » et redemptor « celui qui rachète, adjudicataire, soumissionnaire » ont connu une grande fortune dans le vocabulaire du christianisme avec rédemption et Rédempteur mais le premier, à l'accusatif redemptiōnem, accent tonique sur ō, a aussi subi une évolution phonétique normale, chute du d intervocalique et de la voyelle post-tonique, nasalisations du e et du o, chute du p épenthétique devenu inutile (*) et palatalisation ti- > s-, pour aboutir à rançon.

(*) ce qui prouve qu'il n'avait pas le statut d'un vrai phonème mais qu'il n'était bien qu'une brève transition articulatoire.

Dérivés de emere « prendre »

Ils sont plus anciens, plus nombreux et plus compliqués, je les garde pour plus tard.
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Papou JC



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Messageécrit le Sunday 18 Jul 10, 12:17 Répondre en citant ce message   

Juste un petit ajout pour le sens d'acheter : irrédentisme, venu par l'italien, en parlant des territoires autrichiens de langue italienne (histoire du XIXe siècle).
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Outis
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Messageécrit le Sunday 18 Jul 10, 17:41 Répondre en citant ce message   

Bon ajout. Pour préciser la phonétique, le participe latin redemptus « libéré » se simplifie en italien par une assimilation régressive « m(p)t > n()t » qui supprime la nécessité de l'intermédiaire, d'où redento « libéré » et, avec la négation in- (assimilée en -ir) : irredento « non libéré ».

Le plus important de ces territoires est la ville de Trieste, aujourd'hui libérée.
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Outis
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Messageécrit le Monday 19 Jul 10, 8:10 Répondre en citant ce message   

Un autre ajout (emere « acheter »).

Dans le Glossarium Latino-Græcum on indique la forgerie præemptor pour traduire le grec προαγοραστής qui désigne celui qui a le droit d'acheter avant les autres, un type de droit bien en place en Grèce, comme la proédrie (droit de s'asseoir au premier rang au théâtre) ou la promancie (droit de consulter l'oracle sans faire la queue).

Le terme n'a pas survécu mais on a reconstitué en latin médiéval un preemptio « achat d'avance » (1337), à l'origine de notre « droit de préemption », priorité qu'a un acheteur, en général l'Administration, d'acquérir un bien avant quiconque.

Faut-il alors titrer « Quand la guerre vise l'acquisition » le fragment d'article cité par le TLFi (sous préemption) ? :
Citation:
Nommé ministre de la Défense le 1er juin 1967, il [Moshe Dayan] déclenche dès le 6 la guerre «préemptive modèle», connue sous le nom de guerre des Six jours (Le Point, 6 déc. 1976)

Est-ce bien ici le sens « acheter » ou n'a-t-on pas une résurgence du sens « prendre » ? …
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Outis
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Messageécrit le Monday 19 Jul 10, 9:59 Répondre en citant ce message   

Reprenons le fil suspendu …

Dérivés de emere « prendre »

Sans aucun affixe, on trouve l'interjection em qui serait probablement à écrire « em' » — car issue de l'impératif eme — et qui est un équivalent du français « tiens ! » :
em illæ sunt ædes « tiens, voilà la maison » (Plaute, Trinummus, 3)

Avec le préfixe co- on a anciennement (pour coemō, voir précédemment) *co-h₁m-ō > cōmō au sens primitif de « prendre ensemble, réunir, combiner » qui s'est d'abord spécialisé dans la coiffure, « attacher les cheveux, peigner, coiffer » et, sous la forme de l'adjectif cōmptus à nouveau généralisé « bien soigné, bien arrangé » sur lequel on aurait fait un verbe *comptiāre qui est à l'origine de l'italien conciare « traiter, arranger », quelquefois en mauvaise part « accoutrer, attifer » :
ti hanno conciato per le feste ! « ils t'ont sacrément arrangé ! »

Avec le préfixe de- on a *de-h₁m-ō > dēmō « enlever, retrancher, ôter » dont le dérivé le plus connu est le composé uindēmia « vendange » < uinum dēmō « cueillir la grappe ». Si l'italien a gardé la forme vendemmia proche du latin, le français a connu dans ce mot l'usuel durcissement du yod final (cp. abbreuio > *j'abbrey > j'abrège, saluia > *sauy > sauge) pour donner vendange. On a cependant gardé une forme mixte pour le mois républicain Vendémiaire.

(à suivre)

Lire le MDJ vendange - [ José ]
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Outis
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Messageécrit le Monday 19 Jul 10, 12:35 Répondre en citant ce message   

Dérivés de emere « prendre » (suite)

Avec le préfixe dis- on a, avec le rhotacisme du s intervocalique, *dis-h₁em-ō > *diremō > dirimō « séparer, partager », un mot qui n'est passé en français avec le verbe dirimer et son participe dirimant que par l'intermédiaire du droit théologique :
TLFi, s.u. dirimer, dirimant a écrit:
Trancher. Les formules employées seront à dessein assez souples pour condenser la doctrine sans dirimer les questions controversées (Théol. cath. t. 14, 1 1939, p. 531).
Empêchement dirimant. Empêchement absolu qui met obstacle à un mariage ou l'annule de plein droit, qu'il soit contracté de bonne ou de mauvaise foi.
L'idée d'absolu semble dominer ensuite dans des emplois qui n'attestent surtout que de la compréhension difficile d'un terme rare :
ibidem a écrit:
Dont la force contraignante ne laisse aucune possibilité de recours. Le travail des esclaves (...) est imposé, dirimant et rongeur (SARTRE, Sit. III, 1949, p. 209)
Même si un penseur comme Proudhon utilise encore correctement diremption du mariage au sens de « annulation du mariage ».

(à suivre)
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Outis
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Messageécrit le Tuesday 20 Jul 10, 12:32 Répondre en citant ce message   

Dérivés de emere « prendre » (suite)

Avec le préfixe ex- on a *ex-h₁em-ō > *exemō > eximō, supin exēmptum « mettre à part, hors de, chasser, enlever ». De exēmptio nous avons tiré exemption et du participe exēmptus un adjectif exempt sur lequel a été refait un verbe exempter et un substantif exempt, vieux et littéraire. Avec le même préfixe, mais le suffixe -*lo-, le latin avait fait *ex-h₁em-lo- > exemplum « échantillon, modèle », d'où notre exemple, et, dessus, exemplar « copie, reproduction » d'où notre exemplaire. En revanche, c'est en français qu'on a créé exemplarité ou le rigolo exemplifier qui, à l'étonnement de votre serviteur, est attesté dès le XIVe siècle.

(à suivre)
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Papou JC



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Messageécrit le Tuesday 20 Jul 10, 13:07 Répondre en citant ce message   

Citation:
Avec le préfixe co- on a anciennement (pour coemō, voir précédemment) *co-h₁m-ō > cōmō au sens primitif de « prendre ensemble, réunir, combiner » qui s'est d'abord spécialisé dans la coiffure, « attacher les cheveux, peigner, coiffer »

J'ai cru voir là l'origine de l'anglais "to comb" (peigner), mais un rapide coup d'oeil à Etymonline a infirmé mon hypothèse.
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Outis
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Messageécrit le Tuesday 20 Jul 10, 14:22 Répondre en citant ce message   

L'étymologie populaire des Romains qui, à cette époque, ignoraient tout de l'anglais, rattachait plutôt cōmō au grec κόμη « chevelure » (cf. fr. comète) ou, d'une racine probablement distincte, à κομέω « s'occuper de, prendre soin » voire, encore d'une autre (?), à κομψός « élégant, joli, chic » avec un suffixe -*so- et un p épenthétique. Ils auraient surement ajouté comb s'il l'avaient connu …
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Outis
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Messageécrit le Tuesday 20 Jul 10, 17:10 Répondre en citant ce message   

Dérivés de emere « prendre » (suite)

Avec le préfixe inter- on a *inter-h₁em-ō > *interemō > interimō, un verbe qui n'a pas laissé de rejetons dans les langues romanes mais qui est bien intéressant par son sens un peu inattendu de « détruire, tuer », sens clairement soutenu par ses dérivés interemptio « meurtre » et interemptor « meurtrier ».
En fait, c'est ici le préfixe inter- qui manifeste un sens allant plus loin que le simple in- « dans », en précisant « dans séparativement ». C'est ce sens archaïque étudié par Benvéniste (Noms d'agent …, p. 120) avec des parallèles avestiques qui explique celui d'un verbe comme interdīcere « interdire » à partir de la formule rituelle :
interdīcere aliquem ignī et aquā « prononcer ce qui exclut quelqu'un du feu et de l'eau » : on ôte ainsi la personne d'entre ses semblables.
Et, de la même façon avec des verbes plus ou moins vicariants, la création de composés tels que intereō « périr, disparaître, trouver la mort », interficiō « détruire, massacrer » et notre interimō comme euphémismes des idées de privation, de destruction et de mort.

On aboutit curieusement au même sémantisme avec le préfixe per- dont les sens de « à travers, de bout en bout » contiennent une idée d'achèvement qui est bien claire dans un verbe comme per-eō « s'en aller tout-à-fait, périr ». Et ainsi, *per-h₁em-ō > peremō (forme attestée) > perimō « détruire, anéantir, tuer ».
Mais, en français, ce verbe et ses dérivés, peremptio « meurtre », peremptorius « mortel, meurtrier » ont vu leurs sens s'affaiblir considérablement, essentiellement à partir de la langue du droit où un ticket, un billet de banque, est périmé quand il cesse d'être valable et est donc ainsi anéanti dans sa fonction. De même, la date de péremption d'un yaourt se contente de signaler qu'il n'est plus très frais et qu'on ne pourra pas se plaindre s'il vous tord le boyau.
Quant à péremptoire, il a pris le sens « qui présente un caractère décisif, excluant toute discussion » à partir d'expressions juridiques comme « argument péremptoire », un argument si puissant qu'il éteint toute possibilité de poursuivre l'affaire, il rend celle-ci périmée.

(à suivre)
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Outis
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Messageécrit le Wednesday 21 Jul 10, 9:07 Répondre en citant ce message   

Dérivés de emere « prendre » (suite)

Avec le préfixe pro- on a *pro-h₁m-ō > prōmō avec un sens de base de « mettre en avant, au jour, tirer de » pouvant aller jusqu'à « exprimer par la parole ou l'écriture, dévoiler, publier ». Le verbe n'a pas donné de rejetons romans (promo[tion] est issu de prōmoueō « promouvoir ») autre que par son participe prōmptus qui a subi une longue suite de glissements sémantiques depuis « tiré hors de, mis à découvert », puis « mis à portée de, facile, aisé » ou « disposé à, dispos », et enfin, « agile, rapide, prompt » qui n'ont plus grand chose à voir avec le sens initial.
À côté de l'adjectif prompt on a aussi, dès le latin tardif prōmptitūdō, le substantif de qualité promptitude tandis qu'un prōmptuārium « armoire, crédence » qui insiste sur la facile mise à portée de son contenu, a survécu dans le rare et désuet promptuaire, manuel ou abrégé d'une discipline (droit, jurisprudence, philosophie, etc.).
Le prompteur qui permet aux speakerines, journalistes et politiciens de lire en regardant la caméra vient aussi de là (du français ou du latin) mais par le détour de l'anglais prompter « incitateur, instigateur » de to prompt « inciter à l'action, aider à, assister ».
Enfin, impromptu, qu'il soit adjectif au sens de « improvisé, sans préparation », adverbe au sens de « à l'improviste » ou substantif pour désigner une petite pièce de théâtre, vers ou musique semblant être improvisée, pourrait être écrit « inpromptu » (l'Académie le recommanda un temps) car il est issu de la locution latine in promptu « sous les yeux, sous la main, à disposition, tout prêt ». Ce in + ablatif est donc la préposition « dans » (sans mouvement) et nullement la négation, au contraire de l'imprévu et de la famille de l'italien improvvisare qui, eux, sont bien le non-prévu.

(à suivre)
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Outis
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Messageécrit le Thursday 22 Jul 10, 17:39 Répondre en citant ce message   

Dérivés de emere « prendre » (suite)

L'ordre alphabétique garde pour la fin le suffixe le plus riche et le plus compliqué, sub- « dessous, au fond de » qui, comme d'autres (ob-, ab-, ec-) peut recevoir un renforcement en -s-, *subs-, qui se simplifie en sus- avant les occlusives sourdes (q, c, t, p). C'est ainsi qu'avec capiō « saisir, prendre en main » on aura, tenant aussi compte de l'apophonie « a > i », un composé sus-cipiō « prendre par dessous, soulever, se charger de, assumer ».
Cette introduction pour montrer que c'est vraisemblablement par analogie avec ce quasi synonyme capiō que, au lieu d'un *subimō, emō forme avec sub- un *sus-h₁m-ō > sūmō « prendre sur soi, se charger de, se saisir de » et, sens plus particulier, « dépenser ».
Une condensation si extrême que sūmō apparaît vite comme un verbe simple et va être susceptible de préfixations secondaires.

Le verbe nu, à quelques dialectes près, n'a, selon Meyer-Lübke, laissé de trace que dans le portugais sumir « s'épuiser, tarir, disparaître, s'en aller » avec, en brésilien, les nuances « s'esquiver, décamper » où le sémantisme a évolué depuis le latin en privilégiant les notions de « se saisir de, obtenir, retrancher, enlever, soutirer, saisir l'occasion de ».
Mais son dérivé sumptus, spécialisé en « charge, dépense, coût », avait aussi fourni sumptuōsus « coûteux, onéreux », d'où somptueux, et sumptuārius « qui concerne la dépense », d'où somptuaire.

Avec le préfixe ad- on forme adsūmō, vite assimilé en assūmō « prendre en ajoutant, s'adjoindre » puis, construit d'abord avec un infinitif, « accepter de » d'où assumer.
Quant au nom d'action assūmptiō, d'où notre assomption (qui n'est plus guère utilisé au sens du fait d'assumer : « assomption d'un risque »), il est d'abord passé dans le vocabulaire philosophique, comme une proposition fondamentale, considérée comme universellement acceptée d'avance et a ainsi servi à désigner la mineure d'un syllogisme, traduisant le grec πρόσληψις. Mais comme ce mot signifiait aussi « action de prendre en outre » il a désigné dans le christianisme l'action pour Dieu de se faire homme et ce sens « avoir les deux natures » de assūmptiō a fini par être utilisé pour désigner l'ascension de Marie (en corps et en esprit) d'où, pour le 15 août, la fête dite Assomption. Et, bien sûr, l'ordre des Assomptionnistes pour les moines qui sont sous ses jupes quand elle monte …
Enfin, je ne résiste pas à évoquer l'adjectif assomptif qui, outre quelques usages techniques de quelques logiciens et grammairiens, est utilisé dans l'expression de héraldique « armes assomptives » pour désigner les armes qu'on a droit de prendre après une action d'éclat.

Avec cum « avec » qui, en tant que préverbe, prend ici la forme con-, on a consūmō « prendre ou employer entièrement », d'où « consumer, dévorer » et le nom d'action consūmptiō. Si, en français, consumer est resté au sens premier dans le champ du feu, consomption s'est spécialisé au sens médical dans le champ de la tuberculose (mourir de consomption) pour désigner l'extrême amaigrissement provoqué par la maladie.
On notera que « consumérisme », anglicisme (consumerism), appartient à la famille de « consommer » mais il faut bien reconnaître que, dès le latin chrétien, on constate une confusion entre consumere et consummare, ainsi qu'en témoigne l'expression célèbre : « tout est consommé ! ».

(à suivre)
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Papou JC



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Messageécrit le Thursday 22 Jul 10, 20:19 Répondre en citant ce message   

Il existe aussi un terme technique (droit, économie), consomptible, dont le contraire est non consomptible, ou plus rarement, in-consomptible. Du bas latin consumptibilis, "qui peut être détruit". Il désigne les objets qui se détruisent dès le premier usage qu'on en fait. Les denrées alimentaires sont des biens consomptibles. Une maison est un bien non consomptible.

Pour consommer, voir la grande famille SOUS - SUR.
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Outis
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Messageécrit le Friday 23 Jul 10, 10:53 Répondre en citant ce message   

Dérivés de emere « prendre » (suite)

Dérivés secondaires de sūmere < sub- + emere (suite)

Avec prae- « en avant, devant » on forme naturellement praesūmō « prendre d'avance, prélever, anticiper », d'où présumer, et praesumptiō « anticipation, prolepse », d'où présomption avec les deux sens du mot (présomption d'innocence, je n'ai pas la présomption de). Sur le premier sens on a fait présomptif (héritier présomptif), sur le second, présomptueux.

Avec re- on a resūmō « prendre de nouveau, reprendre, ressaisir » qui pourra être de reprendre le combat, de retrouver le sommeil ou, pour un malade, de se rétablir. Le nom d'action resumptiō ne signifiait d'ailleurs que « rétablissement, guérison ».
Dans l'évolution vers le français, peut-être sous l'influence de l'enseignement ou des plaidoiries, le sens de résumer a évolué vers « reprendre, répéter des arguments », puis « reprendre sommairement » et enfin « condenser en peu de mots ». On notera que l'anglais to resume n'a pas suivi cette évolution et a gardé le sens du latin.

Enfin, un étonnant monstre a été produit par le latin scholastique qui, voyant sūmō au simple sens de « prendre », a redoublé le préfixe pour faire un subsūmō « prendre sous » qui nous a donné les très techniques subsumer et subsomption avec le sens de ranger un cas d'espèce sous un concept plus général, par exemple : subsumer les règles du secret médical sous celles du secret professionnel.

Bilan provisoire

À défaut d'une analyse plus complète où d'autres langues romanes seraient plus systématiquement mises à contribution, je crois qu'on peut tirer plusieurs conclusions de cette énumération de formes.

La première, c'est que, au moins dans les formations verbales latines, une grande partie du sens est dans le préverbe et, surtout quand elles sont faites sur des verbes plus ou moins vicariants (prendre, mettre, faire, aller, etc.) il serait peut-être plus efficace sémantiquement de regrouper des familles d'après le préverbe que d'après le verbe.

La seconde, que, dès le latin et en simplement deux millénaires et demi, des évolutions phonétiques très ordinaires (contractions, apophonies, amuissements) finissent en s'accumulant par transformer complètement l'apparence des mots. À reprendre, en vrac, la liste de tous ceux que j'ai présentés dans cette suite de messages, on serait étonné de leur étrangeté relative : impromptu, périmé et vendanges dans la même famille ?

La troisième, qu'il en est tout-à-fait de même sous l'aspect sémantique : impromptu, périmé et vendanges dans la même famille ?

Et pourtant les familles existent, comme les vraies où la fille du professeur peut être coiffeuse et le fils du berger empereur. Comment les retrouve-t-on ?

Simplement comme j'ai essayé de le montrer, bien brièvement et avec les moyens dont je disposais (rien que du mathos de seconde main) : en attachant la plus grande importance à l'Histoire des mots ; l'étymologie ce n'est finalement qu'une affaire de péripéties …
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Papou JC



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Messageécrit le Sunday 21 Aug 11, 8:26 Répondre en citant ce message   

Avec quelques jours de retard, j'invite les lecteurs curieux de savoir d'où vient le mot Assomption à lire ou à relire cette exhaustive étude de notre ami Outis.

Voir aussi le MDJ prime.


Dernière édition par Papou JC le Sunday 21 Aug 11, 12:09; édité 1 fois
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