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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11179 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 11 Jun 20, 10:54 |
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Le verbe espagnol cansar fatiguer est à la tête d'une petite famille de dérivés : cansado fatigué, cansancio fatigue, descansar se reposer, etc. On imagine la fréquence de tels mots.
L'étymologie qu'en donne le Diccionario de la Real Academia Española est assez surprenante :
Del lat. campsāre 'doblar un cabo' (doubler un cap), 'desviarse del camino' (dévier de sa route), 'virar', y este del gr. κάμψαι [kámpsai].
Quand on se tourne vers le Dictionnaire étymologique de la langue latine, on y lit que campsare est conservé dans l'italien cansare "écarter". C'est probable.
Mais que le cansar espagnol soit du même étymon, j'avoue en douter beaucoup, pour les raisons sémantiques que chacun peut constater.
Quand on se tourne ensuite vers le Dictionnaire étymologique de la langue grecque, on y trouve le verbe κάμπτω [kámptô] que nous avons déjà rencontré dans d'autres fils (campé, jambe, hippocampe), à la tête d'une longue liste de dérivés où il est question de courbes, de courbures, de tournants, etc. mais nulle part de fatigue. En revanche, si on remonte un peu sur la même page, on tombe sur le verbe κάμνω [kámnô] quasi entièrement consacré, avec ses dérivés, au sémantisme de la fatigue !
Je compte sur un phonéticien pour nous donner son avis sur la possibilité ou non que ce mot grec ait pu aboutir à l'espagnol cansar, sans forcément passer par le latin, mais peut-être sous l'influence de l'arabe قنسر qansar "vieux, cassé par l’âge".
Dernière édition par Papou JC le Thursday 11 Jun 20, 15:47; édité 1 fois |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Thursday 11 Jun 20, 11:36 |
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L'hypothèse d'une influence de l'arabe est intéressante, mais le fait que le mot soit bien attesté en languedocien me la fait trouver moins probable que si cansar "fatiguer" était uniquement castillan :
https://apps.atilf.fr/lecteurFEW/index.php/page/lire/e/75286
Si je lis bien l'allemand du FEW, il explique le sémantisme de cansar par un passage de "courber" à "fatiguer". |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11179 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 11 Jun 20, 11:51 |
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J'ai du mal à croire qu'un terme nautique latin par essence rare dans la langue générale ait abouti à ce cansar hyperféquent.
Tu ne dis rien du verbe grec que je propose en échange. C'est possible ou pas, phonétiquement ? |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Thursday 11 Jun 20, 12:09 |
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Je partage ton scepticisme. D'où viendrait le -s- selon ton hypothèse grecque ? Malgré mes réserves, je trouve que c'est presque ton hypothèse arabe qui tient le mieux la route. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11179 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 11 Jun 20, 12:14 |
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Jeannotin a écrit: | D'où viendrait le -s- selon ton hypothèse grecque ? |
Collusion homophonique entre κάμπτω [kámptô] et κάμνω [kámnô] ? |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3664 Lieu: Massalia
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écrit le Thursday 11 Jun 20, 14:26 |
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Pas exactement. Il dit que le terme apparaît en grec au sens de " contourner un lieu, qq chose " (à la voile ) , puis qu'on le retrouve quelques siècles plus tard, avec le sens de " se détourner de son chemin " . "Biegen" tout seul, signifie bien : courber...mais " vom weg abbiegen signifie " se détourner de son chemin. " Il dit que ce terme grec a donné l'italien cansare au sens de " éviter " Et qu'en catalan apparaît un nouveau sens : cansar = fatiguer " ce qu'on peut comparer ici sémantiquement à curvare ".
Ce n'est pas exactement la même chose |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11179 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 11 Jun 20, 15:06 |
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Ça reste incompréhensible ou tiré par les cheveux. Curvare n'a jamais eu le sens de fatiguer. On peut être courbé par l'âge mais pas forcément par la fatigue. Ce serait comme faire dériver se reposer de la ligne droite, sous prétexte qu'on s'allonge sur un lit pour se reposer...
Le "nouveau sens" - très nouveau, très différent des anciens - d'un terme nautique n'est pas apparu en catalan comme par magie pour devenir un des hyperfréquents de la péninsule ibérique.
L'homonymie a encore frappé.
Mais comme c'est le FEW qui le dit, le DRAE le recopie fidèlement et aveuglément.
Pour l'arabe, je pense à une influence plutôt qu'à une dérivation directe. Ce verbe qansar est obsolète et ce n'est pas sur lui non plus que repose en arabe la notion de fatigue, si je puis dire. La courbure due à l'âge, oui, mais on peut être fatigué à tout âge. Il faut arrêter d'associer l'un à l'autre. |
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Ion Animateur
Inscrit le: 26 May 2017 Messages: 306 Lieu: Liège
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écrit le Thursday 11 Jun 20, 17:06 |
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Voici les textes :
Ennius, Annales, fgt 324 Warmington (= 328 Vahlens3) a écrit: |
Leucatan campsant « ils doublent le cap Ducato » (ou Doukáto, ou Lefkáda) |
Aetheriae (ou Egeriae) Peregrinatio (ou Itinerarium) a écrit: |
8 […] «si vultis videre aquam, quae fluit de petra, id est quam dedit Moyses filiis Israhel sitientibus, potestis videre, si tamen volueritis laborem vobis imponere, ut de via camsemus forsitan miliario sexto».
9. Quod cum dixisset, nos satis avidi optati sumus ire, et statim divertentes a via secuti sumus presbyterum, qui nos ducebat.
8 […] « Si vous voulez voir l’eau qui jaillit du rocher, c’est-à-dire celle que Moïse a donnée aux fils d’Israël qui avaient soif, il vous est possible de la voir, si cependant vous voulez bien vous imposer l’effort que nous nous écartions (camsemus) de la route de peut-être cinq milles. » (je comprends « de la mesure d’une sixième borne »)
9. Ces paroles nous font ardemment souhaiter d’y aller et, nous écartant aussitôt de la route, nous suivons le prêtre qui nous conduisait. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11179 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 12 Jun 20, 10:32 |
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À propos de l'italien cansare, une petite recherche me prouve que ce ne doit pas être un mot très fréquent. Il est par exemple absent des dictionnaires bilingues...
Et j'ai oublié de faire remarquer que le DELL ne pipe pas mot de l'espagnol cansar, qui est, lui par contre, un hyperfréquent notoire.
Je crois que tout cela ne parle guère en faveur de l'hypothèse campsare pour l'espagnol. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11179 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 12 Jun 20, 15:03 |
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Le site http://etimologias.dechile.net/ avance une hypothèse intéressante : il pense que cansar est le résultat d'une confluence du verbe quassare "secouer, ébranler fortement, endommager, affaiblir" (d'où notre casser) et du verbe campsare. Le site s'appuie sur une étude de Yakov Malkiel sur ce sujet. On suppose qu'il a des arguments, mais je me demande s'il est bien nécessaire de vouloir à tout prix maintenir campsare dans le jeu. Une banale nasalisation de quassare ne suffirait-elle pas ?
En ancien français cassé, aussi écrit quassé (sans accent à l'époque) a eu le sens de "rompu, mort de fatigue". |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3664 Lieu: Massalia
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écrit le Friday 12 Jun 20, 18:43 |
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Papou JC a écrit: |
En ancien français cassé, aussi écrit quassé (sans accent à l'époque) a eu le sens de "rompu, mort de fatigue". |
Dans le Sud de la France, actuellement : " je suis cassé ' signifie je suis rompu, épuisé .
Et en occitan : Cansat, me'n vaig a dormir. = fatigué, je m'en vais dormir. |
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ramon Animateur
Inscrit le: 13 Jan 2005 Messages: 1395 Lieu: Barcelone, Espagne
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écrit le Friday 12 Jun 20, 19:03 |
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Au cas où cela aiderait : les dictionnaires catalans donnent exactement la même étymologie que le DRAE, mais le DCVB ajoute certaines informations qui pourraient être utiles.
Pour commencer, on donne trois acceptions du mot, dont la première, bien qu’elle appartienne au catalan ancien, est celle de « cesser », « arrêter », « fatiguer ». (Mention plus ancienne chez Ramon Muntaner –« Cròniques »- XIVᵉ siècle).
La deuxième acception est celle de perdre forces par excès d’activité et la troisième, déranger, incommoder à cause de la duration excessive de quelque chose.
Quand à l’étymologie, on explique un déplacement sémantique à partir de « doubler en cap en naviguant », « dévier de sa route » → « cesser de suivre une route » → « cesser (de faire quelque chose)» (conséquence de se fatiguer).
On ajoute encore que cette origine, proposée par Spitzer et justifiée par Corominas, est préférable à l’étymon latin « quassare », admis par Diez, Meyer-Lübke et Malkiel, mais pas phonétiquement acceptable à cause de l’insertion de ce « n » (malgré l’explication de Malkiel d’un croisement entre « campsare » et « quassare »). Ce qui rend l’étymon « campsare » plus probable, c’est la prédominance de l’usage intransitif du verbe « cansar » en espagnol ancien.
Je vous donne le lien vers le DCVB. C’est en catalan, mais je pense que vous n’aurez aucun mal à le comprendre. Tapez « cansar » dans « Cerca ».
https://dcvb.iec.cat/ |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11179 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 12 Jun 20, 20:39 |
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Merci Ramón.
En ce qui concerne l'insertion du n, cette question a été abordée ailleurs à propos de cado et scando. Il doit y avoir d'autres exemples en indo-européen. Il y en a beaucoup en arabe.
C'est ce qui m'amène à penser que ce que j'ai appelé une nasalisation de quassare aboutissant à cansare ne me paraît pas inimaginable. Bien plus improbable me semble une influence d'un terme nautique italien rare dans la langue générale, rareté doublée d'une cascade sémantique débordante d'imagination.
Mais bon, je n'ai pas le crédit de ces sommités... ni leur science. |
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Jeannotin Animateur
Inscrit le: 09 Mar 2014 Messages: 879 Lieu: Cléden-Poher
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écrit le Friday 12 Jun 20, 21:30 |
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Merci rejsl d'avoir corrigé ma mauvaise lecture de l'allemand !
Le verbe quassare a pu jouer un rôle dans la genèse du cansar espagnol par son influence sémantique, mais il y a plusieurs obstacles phonétiques à ce que cansar soit un simple réflexe de quassare. En plus de l'insertion d'un -n-, la proposition de Papou suppose un traitement qua- > ca- qui n'est pas celui du castillan (cf la conservation du qua- lat. dans le cast. cuatro). |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11179 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Friday 12 Jun 20, 21:43 |
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Ma proposition, comme tu dis, est d'abord et surtout celle de Diez, Meyer-Lübke et Malkiel (cf. le post de Ramón). Excusez du peu !
Exceptions à la règle : quasi > casi, quinque > cinco, quomodo > como. |
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