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Chusé Antón
Inscrit le: 25 Feb 2005 Messages: 739
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écrit le Monday 25 Jun 07, 18:32 |
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Parole, du latin Parabola. En castillan palabra, en catalán paraula, en aragonais parola.
La parole est indispensable pour vivre notre désir "d´être avec". C´est un sens de l´expression "donner sa parole" auquel on ne pense pas souvent: offrir à l´autre que je rencontre les mots qui vont lui permettre de me connaître, de me comprendre...La parole devient alors un cadeau, avec bien sûr le risque que le cadeau, ma parole, ne soit pas reçue, mal interpretée, jugée, refusée ou pire, tombée dans l´indifférence. Lorsque nous offrons notre parole nous nous rendons vulnérables, sera accuellie? sera rejetée? Oser parler devient une aventure, une aventure magnifique surtout dans ce Forum des Babéliens. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Monday 25 Jun 07, 23:19 |
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Et si la parole était mensonge, baratin ?
Comme le chantait Dalida : « Paroles, paroles » …
Avec le préfixe πάρα- [pára-] « à côté de, le long de » et le verbe βάλλω [bállō] « lancer, atteindre », les Grecs ont formé le verbe παραβάλλω qu'Homère emploie au sens de « jeter en pâture » (à des animaux) mais qu'on retrouve ensuite dans toutes sortes de contextes : confier, jeter hors du droit chemin, mettre en danger, mettre à côté de, comparer, mettre en contre-partie, détourner, etc.
Les connotations sont positives ou négatives, mais l'idée est toujours d'un écart, d'une distance prise …
Sur ce verbe, un nom d'action a été construit, παραβολή [parabolē], qui, dans le discours des philosophes du Ve siècle (Platon, Aristote), aura le sens « comparaison, rapprochement », puis en rhétorique « discours allégorique », mais que Plutarque utilisera encore comme « action de s'écarter du droit chemin ».
Les Romains empruntent ce mot sous la forme parabola avec son sens rhétorique de « comparaison » et, de là, il passe dans la langue de l'Église avec celui de « parabole, proverbe ». C'est dans la Vulgate que, par contagion de l'hébreu pārehāl, il prendra le sens de « parole », sens qu'il a gardé dans les langues romanes.
Il n'empêche que quelque chose reste peut-être dans ce mot des connotations anciennes d'écart, de détournement, voire de tromperie (comparaison n'est pas raison), ainsi qu'en témoigneraient des aphorismes ordinaires :
La parole est d'argent mais le silence est d'or
Les paroles s'envolent mais les écrits restent
et la chanson de Dalida … |
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Chusé Antón
Inscrit le: 25 Feb 2005 Messages: 739
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écrit le Wednesday 27 Jun 07, 21:42 |
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Paroles, paroles...dit la chanson,oui, insistant ainsi sur les mots inutiles et menteurs. Mais la parole donné a chacun que se trouve appelé par son nom n´est pas un bruit de vent. Quand on donne la parole on engage son coeur, le fond de soi même, le fondement propre. Faire advenir une parole pour ensuite la donner, n´est pas chose facile. Cela demande apprentisage et persévérance. Mais l´aventure de donner la parole vaut bien la peine, car elle peut être une des clés du bonheur de notre vie. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 28 Jun 07, 11:45 |
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Oui, je comprends bien ce que tu veux dire et j'adhère pleinement à cet aspect de la parole. Cependant, je continuerai à faire contrepoint à ton discours car je ne peux gommer l'ambiguïté de la parole, telle qu'elle est décrite par Ésope dans une parabole dont voici une paraphrase :
Citation: | Vous souvenez-vous de cet esclave à qui son maître demande de ne lui rapporter, pour un banquet, que la meilleure des nourritures et rien d’autre? Esope rapporte des langues qui seront servies en entrée, en plat principal et au dessert. D’abord aux anges, les convives finissent le repas dégoûtés. Esope explique qu’il a choisi la langue, car c’est la meilleure des choses, le lien de la vie civile, la clef des sciences, celle par laquelle on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées. Le lendemain, le maître demande à Esope de rapporter la pire des choses et de la servir aux mêmes invités. L’esclave ramène de la langue, expliquant qu’elle est la pire des choses, mère de tous les conflits, nourrice des procès, source des guerres, de la calomnie et du mensonge. |
Dès la plus haute antiquité, la parole est aussi le véhicule du mensonge et je me contenterai ici de citer le misogyne Hésiode (Travaux, 77-80, trad. Mazon) sur le rôle d'Hermès dans la création de Pandore, la première femme :
Citation: | Et, dans son sein, le Messager, tueur d'Argos, crée mensonges, mots trompeurs, cœur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. Puis, héraut des dieux, il met en elle la parole … |
À noter que — comme beaucoup de traducteurs littérarisants, hélas — Mazon déforme le texte en traduisant φωνή [phōnḗ] par « parole » au lieu de « voix » qui est le sens propre. Dans ce texte, la parole, c'est ce qui précède, le mensonge et les mots trompeurs …
Il est vrai que, dans ces temps anciens, la parole se devait d'être vérité et que, du serment, les dieux étaient garants. On jurait par Zeus Horkos (Zeus gardien du serment) et non sur la tête de sa mère ou de ses enfants. Mais on savait déjà aussi que le parjure n'était guère puni que dans les mythes !
Je n'aime pas « donner ma parole », peut-être parce que, enfant, je l'ai trop souvent fait faussement, peut-être parce qu'on m'a trop souvent trahi. Je préfère « m'engager à », « promettre de », exprimant ma volonté sincère mais laissant la place aux aléas du destin et à l'imperfection humaine.
Mais il est vrai que les palabra, paraula, parola d'Ibérie ont peut-être un sens plus fort et contraignant que la parole française … |
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Sido
Inscrit le: 14 May 2006 Messages: 139 Lieu: Orléans
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écrit le Thursday 28 Jun 07, 13:45 |
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Les candidats aux élections vous "donnent leur parole", expression que je n'aime pas beaucoup non plus, et vous demandent votre voix. Ensuite on espère qu'ils seront de bons porte-parole. |
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José Animateur
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 10941 Lieu: Lyon
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écrit le Thursday 28 Jun 07, 13:51 |
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En anglais :
- parole : parole d'honneur
- on parole : liberté conditionnelle, remise de peine
- to parole : accorder sa liberté conditionnelle (à qqn) |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 28 Jun 07, 13:53 |
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On notera aussi le « passe parole » des jeux de cartes à enchères (bridge, tarot, etc.) qui abrège « je passe la parole au joueur suivant » et est lui-même abrégé en « passe » ou « parole » selon les habitudes de chacun. |
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Chusé Antón
Inscrit le: 25 Feb 2005 Messages: 739
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écrit le Thursday 28 Jun 07, 15:29 |
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Outis, très belles ces paraboles, surtout celle d´Ésope. Tu es une fontaine d´érudition. On peut dire la même chose de la famille, que c´est l´école des grands amours et aussi des grandes trahisons...
Alors, tu préfères le cinema "muet" que c´est le plus pareil aux rêves?
Dans un film grec -je me souviens pas du titre- un grand -père lui dit à son petit fils: apporte -moi des mots. Le petit enfant va chez les groupes des gens, écoute bien et les lui en apporte. Le grand-père lui donne une pourboire. |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Thursday 28 Jun 07, 18:32 |
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C'est amusant, on vient juste de parler de ce film sur le forum grec !
Il s'agit de L'Éternité et un jour de Théo Angelopoulos. Un écrivain qui va mourir renouvelle avec un enfant des rues (qui n'est pas son petit-fils) la démarche d'achat des mots qu'avait eu le grand poète Solomos quand il cherchait à faire revivre une langue grecque littéraire, écrasée par plusieurs siècles d'occupation ottomane. |
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marsyas
Inscrit le: 19 Jun 2007 Messages: 34 Lieu: Utopie, Alpes-Maritimes
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écrit le Friday 29 Jun 07, 0:29 |
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Nonobstant la langue double du rampant d'Eden, les Juifs ne se distinguent pas, à l'instar d'autres peuples, par leur bipédie, leur sapienta, leur faculté de rire ou encore leur sociabilité, mais par le seul fait que nous sommes des êtres doués de parole. Ils se définissent comme m°daber, c'est-à-dire comme des êtres capables d'un métalangage où signifiant et signifié sont toujours dans une inadéquation qui est la condition de la "pensée symbolique" (Lévi-Strauss). Nous ne serions peut-être plus dans Citation: | πάρα- [pára-] « à côté de, le long de » et le verbe βάλλω [bállō] « lancer, atteindre » | mais dans le sun-bolein, "lancer avec, pour joindre", au grand damne de Celui qui sépare, dia-bolon. |
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Lou caga-blea
Inscrit le: 05 Sep 2006 Messages: 513 Lieu: Nissa
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écrit le Friday 29 Jun 07, 10:03 |
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A propos d'Hésiode, et de la parole dans la Grèce archaïque, allez (re)lire les pages suggestives de M. Détienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque.
Pour en revenir à des aspects plus strictement linguistiques (encore que...) : l'une des grandes isoglosses lexicales de la Romania est précisément la manière de désigner l'acte de parole: PARABOLARE à l'est > gallo-roman, incluant le catalan, parlar, parler ; italo-roman: parlare vs. *FABULARE à l'ouest: esp. hablar, port. falar. La réalité est quand même plus complexe: le sarde et le frioulan (rhéto-roman), par exemple, ont *FABULARE (faedhare, favellar). Question subsidiaire : cette répartition linguistique a-t-elle autre chose à nous dire ? En d'autres termes, certains Romans seraient-ils plus philosophes (ils parleraient par paraboles) ou plus religieux (ils parleraient comme Jésus) et d'autres plus poètes (ils parleraient par fables) ou plus hâbleurs/baratineurs ??? |
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Outis Animateur
Inscrit le: 07 Feb 2007 Messages: 3509 Lieu: Nissa
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écrit le Friday 29 Jun 07, 15:53 |
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C'est là une question bougrement intéressante, encore qu'elle me paraisse plus du domaine de l'histoire des idées que de la linguistique. Autant que je puisse en juger (très superficiellement), parabolare est spécifiquement un terme d'église (voir plus haut l'influence hébraïque) alors que fabulare est à l'origine un terme de théâtre (Plaute) qui a été utilisé comme un équivalent du grec μυθέομαι [muthéomai] « raconter des histoires ».
Même si le rapport entre mythos et logos était pour les Grecs beaucoup plus subtil et ambigu que ce que certains philosophes l'ont prétendu, fabulare était apparemment d'un usage beaucoup plus profane que parabolare, d'autant plus que, pour les penseurs chrétiens, mythos, référence au paganisme grec, avait un petit côté diabolique.
Les îliens, montagnards et Ibères étaient-ils moins soumis à l'influence chrétienne ? Je l'ignore … |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11234 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 26 Mar 11, 0:17 |
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On retrouvera la plupart des mots cités dans ce fil au sein des grandes familles BAL, FABLE et LÉGENDE. |
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José Animateur
Inscrit le: 16 Oct 2006 Messages: 10941 Lieu: Lyon
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écrit le Thursday 11 Apr 13, 12:30 |
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[ Proposition d'ajout à la Grande Famille BAL ]
La Famille BAL comptait parley dans sa liste, voici parlay.
- Spyropoulos married Sgourdos’ niece, Penelope, to worm his way into the family — and allegedly hoped to parlay the relationship into ownership of the twin eateries by killing her uncle.
= Spyropoulos a épousé la nièce de Sgourdos pour s'introduire dans la famille, en espérant faire "fructifier" la relation et devenir propriétaire des 2 restaurants en tuant l'oncle de son épouse.
[ The NY Post - 11.04.2013 ]
to parlay
- mener à bien
- faire fructifier
- remettre en jeu (cartes)
- réemployer (les gains d'un pari)
etymonline a écrit: |
parlay (n.)
1701, parloi, term in the card game faro, from French paroli, from Italian parole (Neapolitan paroli) "words, promises," plural of parolo (see parole).
Meaning "exploit to advantage" is from 1942. |
Lire le Fil Références d'origine ludique. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11234 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 11 Apr 13, 14:44 |
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José a écrit: | Proposition d'ajout à la Grande Famille BAL |
Merci mais j'hésite... Voilà un mot bien rare - que tu me fais découvrir - et qui a perdu tout lien sémantique avec ses origines... Les petites familles étrangères qui accompagnent une grande famille française n'ont pas vocation à être exhaustives mais représentatives... |
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