Les grandes familles de mots




« Menteurs et mythomanes »

La famille MENTAL


Patriarche indoeuropéen : *ME(N)-, “penser”


Les branches

Les deux principaux ancêtres latins de cette famille sont le nom mens, gén. mentis, « esprit, intelligence » et le verbe mentiri, « mentir ». En sont issus tous les mots français en -ment-, -mens- et -mence :

mental, menteur, mention, mentir, comment, commentaire, dément, démenti, démentir, mémento, véhément ... et tous les adverbes de manière en -ment.
mensonge, mensonger.
démence, véhémence, ...



2. D’autres importants ancêtres latins sont le verbe monere, « rappeler, faire souvenir », et le nom monstrum, « avertissement des dieux, signe prémonitoire, prodige ; objet exceptionnel, être surnaturel ; démon ». En sont issus un certain nombre de mots qui se reconnaissent à leur radical -mon- :

monnaie, monnayer, monétaire, moniteur, monstre, montre, montrer, monument, démonstratif, démontrer, prémonition, prémonitoire, remontrance ...


3. Il n’y a pas de branche germanique mais la branche grecque offre à elle seule un riche éventail de divers étymons qui ont tous en commun le radical consonantique -mn- :

μνημη, mnêmê, « mémoire, souvenir » [1], d’où sont issus amnistie, amnistier, amnésie, amnésique, hypermnésie, mnémotechnique, Mnémosyne, ...
μανια, mania, « folie, démence », et μαντις, mantis, « devin, prophète », d’où sont issus la petite famille de manie ainsi que le suffixe -mane : manie, maniaque, cleptomane, mégalomane, mélomane, mythomane, pyromane, toxicomane, ...
μαντις, mantis, « devin, prophète », d’où sont issus nécromancie, chiromancie, oniromancie, cartomancie, cartomancienne, ...
ευμενης, eumenês, « bienveillant, bon », d’où est issu le nom des Euménides, « les Bienveillantes », surnom donné par antiphrase aux Érinyes, les déesses grecques de la Vengeance.
αυτοματος, automatos, « qui se meut de soi-même », dérivé du verbe μεμονεναι, memonenai, « désirer », d’où sont directement issus automate, automatiser, automatisation, automatique, automatiquement, automatisme, audimat, ...

L’invité masqué

Il a conservé le radical -min- de son étymon : réminiscence, du bas latin reminiscentia, dérivé de reminisci, « se souvenir », qui faisait déjà bande à part en latin ; il dérive du même verbe minisci que memento, qui en est l’impératif.
Curiosités

1. mandarin : du portugais mandarim. Ce mot s’appliquait autrefois aux hauts fonctionnaires d’un certain nombre de pays d’Asie. Altéré par le portugais mandar, « ordonner, commander », c’est un emprunt au malais mantari, lui-même emprunté au sanskrit mantrin, « conseiller d’État » ; un mantra, est un conseil, une formule sacrée, une prière brahmanique. Le lien entre le mandarin et la mandarine – le fruit – n’est pas clairement établi, mais mantra se rattache clairement à la racine *ME(N)-.


2. mentor : « sage conseiller » (cf. sanskrit mantrin, ci-dessus), nom commun issu du nom propre Mentor. Dans l’Odyssée, Mentor est l’ami d’Ulysse dont Athéna emprunte les traits pour accompagner et instruire Télémaque, le fils d’Ulysse. On voit que menteur et mentor ont la même origine lointaine, « celui qui pense, qui imagine », premier sens probable du verbe latin mentiri, qui, par litote, a fini par signifier « ne pas dire vrai ».
Voir aussi ce mot ICI sur le forum Babel.


3. monnaie : de Moneta (de monere, « avertir »), surnom donné par les Romains à Junon en reconnaissance des avertissements qu’elle leur avait donnés. Le temple de Junon fut employé à la fabrication de la monnaie.


4. Mnémosyne, « la Mémoire », était la mère des Muses. Pour la plupart de nos sources le rattachement du mot muse à la famille ne fait donc aucun doute ; il se ferait par l’intermédiaire d’une racine *MON-TWA, extension de *ME(N)-. Dérivés : musique, musée, mosaïque, ...


5. Prométhée, autre personnage célèbre de la mythologie grecque, dont le nom, construit avec le préfixe pro- sur la racine -μη-, , signifie « celui qui réfléchit avant (d’agir) ». Tout le contraire de son frère, Épiméthée, qui, lui, réfléchit après.

Homonymes et faux frères

1. Il y a mosaïque et mosaïque !
– Le nom féminin mosaïque vient de Muse, ce mode de décoration ayant d’abord été utilisé dans les grottes dédiées aux Muses.
– L’adjectif mosaïque vient de Moïse.


2. On trouvera d’autres mots en -men- (dont menton) ou -mon- dans la famille MENER.


3. Pour manier – qui n’a rien à voir avec manie – et d’autres mots en -man-, voir la famille MAIN.


4. La plupart des mots en -mat- (mat, mât, maths, matin, mâtin, etc.) sont sans rapport avec l’élément -mate d’automate.

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. admonición, amnesia, amnistía, comentar, demente, manía, memento, mención, mente, mentir, mnemotécnica, moneda, monstruo, monumento, mostrar, reminiscencia

port. admonir, amnésia, mostra, mostrar, monstro

it. dimostrare, mania, mente, mentire, mentovare, menzogna, moneta, mostra, mostro

angl. admonish, amnesty, comment, demonstrate, maniac, (to) mean, mental, mention, mind, mint, money, monitor, monster, monument, reminiscent, summon

all. mahnen, Mahner, meinen, monieren, Münze, münzen

rus. демонстрация, мания, мозаика, монстр, монета

Notes :

1 Après memento vu plus haut (branche 1), voici une deuxième apparition de la notion de « mémoire ». La double coïncidence formelle et sémantique entre le latin memento et le latin memoria, « mémoire » est purement accidentelle, memoria descendant d’une autre racine indoeuropéenne, la racine *(S)MER-.








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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