Les grandes familles de mots




« L’inspecteur a des soupçons »

La famille SPECTACLE


Patriarches indoeuropéens : *SPEK- et *SKEP-[1], « observer »


Les branches

1. Parmi les principaux ancêtres latins de cette famille on trouve les noms spectaculum, « spectacle » et spectrum, « simulacre émis par des objets, spectre ». En sont issus tous les mots qui contiennent le radical -spect- :

spectacle, spectre, aspect, circonspect, inspecter, introspection, perspective, prospecter, respect, rétrospective, suspect, ...


2. Cette famille a d’autres ancêtres latins importants, par exemple species, « aspect, apparence, beauté, subdivision du genre, espèce », specimen, « image, modèle », ou encore spicere, « examiner ». En sont issus tous les mots qui contiennent les radicaux -spec- ou -spic- :

spécial, spécimen, spéculer, espèce, ...
auspices, perspicace, suspicion, ...



3. Il y a aussi une branche grecque (voir note 1) avec des mots à radical -scop- comme σκοπειν, skopein, « observer », et σκοπος, skopos, « observateur », et d’autres à radical -scep- comme σκεπτεσθαι, skeptesthai, « considérer ». En sont issus :

cinémascope, horoscope, magnétoscope, microscope, radioscopie, sceptique, de σκεπτικος, skeptikos, « qui observe, réfléchit (et n’affirme rien) », télescope, ...


4. Il y a enfin une branche germanique qui est à l’origine du mot espion et de ses dérivés : espionner, espionnage, ...

Les invités masqués

1. Ils ont tous la même particularité, à savoir cacher le s du couple consonantique -sp- :
– il est issu de despectus, « vue d’en haut, mépris » : dépit. Dérivé : dépité.
– il est issu de respectus, « action de regarder en arrière » et est donc un doublet de respect : répit.
– il est issu du latin médiéval exspectativus, « qui donne droit d’attendre, d’espérer » : expectative.
– il est issu de species et est donc un doublet d’espèce : épice. Dérivés : épicier, épicerie, épicé.
– il est issu de suspicio, « action de regarder de bas en haut » et est donc un doublet de suspicion : soupçon. Dérivés : soupçonner, soupçonneux, insoupçonnable.
– il est de la famille d’espion : épier.


2. Ils sont méconnaissables : écueil et évêque (voir ci-après).



Curiosités

1. auspice est issu du latin auspicium, et celui-ci d’auspex, « prêtre romain qui prédisait l’avenir par l’examen du vol des oiseaux », de avis, « oiseau » (> fr. avion), et spicere (branche 2). Le mot n’est plus employé que dans la locution sous les auspices de qqn ou qqch, « sous la protection de ... ». Le prêtre qui, dans le même but, examinait les entrailles de bêtes sacrifiées, était l’(h)aruspice.


2. écueil a fait plusieurs fois le tour de la Méditerranée ! D’abord escueil, emprunt à l’ancien provençal escueyll, issu comme l’italien scoglio et le catalan escull, d’un latin populaire *scoclu, altération du latin classique scopulus, « écueil », lui-même emprunté au grec skopelos, « hauteur, lieu pour guetter » et « écueil ». Ainsi nommé soit parce qu’un promontoire rocheux est un endroit d’où l’on guette, soit parce qu’il « guette » et menace le navigateur de faire échouer[2] son bateau.


3. évêque : d’abord evesque et ebisque (cf. espagnol obispo, anglais bishop, allemand Bischof), est issu du latin chrétien episcopus, du grec episkopos, « gardien, surveillant », de episkopein, « inspecter », de skopein, « observer ». C’est donc le doublet populaire d’épiscope. Autres dérivés : évêché, archevêque, épiscopal, épiscopat.

Homonymes et faux frères

1. Il y a auspice et hospice !
hospice est issu du latin classique hospitum, « hospitalité » et concrètement « gîte hospitalier », dérivé de hospes (Voir hôte dans les Curiosités de la famille POTENTIEL).


2. Il y a évêché et revêche !
L’adjectif revêche est d’origine obscure. On a proposé un latin vulg. *reversicus, « à rebrousse-poil », de reverti, reversus, « revenir en arrière » (famille VERS), ou un ancien francique *hreubisk, « raboteux, rude », qui aurait un équivalent en ancien scandinave.


3. Pour accueil et recueil, issus du verbe latin colligere, voir famille LÉGENDE.


4. Le préfixe épi- (épithète, épiscope, épigraphe, etc.) est issu de la préposition grecque επι-, epi, « sur ». Il est sans rapport avec épice et épier. C’est donc par son deuxième élément, -scope, que le mot épiscope est de la famille, et non par le premier.

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. aspecto, conspicuo, despectivo, escéptico, especialidad, especie, espécimen, espejo, espiar, horóscopo, obispo, respeto, sospechar

port. aspecto, conspícuo, despeito, especialidade, espécie, espécime, espelho, espia, horoscopo, respeito

it. aspettare, aspetto, auspice, ispezione, sospetto, specchio, specializzato, specie, specola, speculare, speglio, spettatore, spettro, spiare, vescovo

angl. aspect, bishop, conspicuous, despicable, despite, expect, inspect, sceptic, special, specialist, species, specify, specimen, spectacle, spectrum, spice, spite, spy, suspect, telescope

all. Aspekt, Bischof, Prospekt, spähen, Spektakel, Spekulation, spekulieren, Spezerei, spezifisch, Spiegel, spiegeln, Spion

rus. аспект, инспектор, микроскоп, проспект, скептик, спектакль, спекуляция, специфика, специи, шпион, эпископ

Notes :

1 Les racines *SPEK- (> mots latins et germaniques) et *SKEP- (> mots grecs) sont généralement considérées comme une seule et même racine.

2 Une hypothèse qui reste à vérifier : ce même verbe échouer – sans rapport avec échec – pourrait bien avoir un lien direct avec écueil, comme c’est le cas en castillan pour le couple correspondant scollo / scollare.








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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