« Un réveillon de végétariens »
La famille VIGUEUR
Patriarche indoeuropéen : *WEG-, « vigoureux, vif, vigilant »
Les branches
1. La famille comporte d’abord une série d’ancêtres latins remarquables par leur radical -
vig- :
vigere, « être bien vivant »,
vigilare, « être éveillé, attentif »,
vigilia, « veille, garde de nuit »,
vigor, « force vitale », d’où sont issus la plupart des mots français dotés du même radical :
vigie, vigile, vigilant, vigilance, vigueur, vigoureux, revigoré, revigorer,
ravigoter, …
2. Au fil des siècles, les mots latins ci-dessus en
-vigil- se sont transformés en mots français en -
veil-, donnant naissance à une nouvelle et riche série :
veille, veiller, veillée, veilleuse, surveiller, surveillant, surveillance, éveiller, éveil, réveiller, réveil, veilleur, réveillon, réveillonner, …
3. Une troisième branche, toujours latine, est constituée de mots à radical -
veg- :
vegere, « être vif, ardent »,
vegetare, « animer, vivifier »,
vegetus, « vif, dispos », d’où sont issus tous les mots français dotés du même radical :
végétal, végétation, végétarien, végéter, végétatif, végétaline, végétalien, …
4. Ancêtre apparemment isolé, l’adjectif latin
velox, « agile à la course », est en fait un cas particulier de la série précédente, car il est probablement issu d’une forme
*weg-s-los. Ses descendants se reconnaissent à leur radical -
vélo- :
véloce, vélocité, vélocipède, vélo, vélomoteur, vélodrome
5. Cette famille se distingue enfin par une banche germanique - gotique
waken, allemand
wachen, « guetter » - à
w- initial devenu
gu- en français par une évolution phonétique normale. En sont issus la plupart des mots français à radical -
guet- :
guetter, guetteur, guet, aguets, guet-apens,
échauguette
L’invité masqué
Il relève de la branche germanique mais est méconnaissable :
bivouac. Le français l’a emprunté soit au moyen bas allemand
biwacht, « garde extraordinaire, service de garde auxiliaire », soit au néerlandais
bijwacht, « garde secondaire par opposition à la garde principale [hoofdwacht] », attesté depuis 1651 et composé de
bij, « auprès de » et de
wacht, « garde » ; le mot a probablement pénétré en France par l’intermédiaire des mercenaires combattant dans les armées françaises au XVIIe s. Dérivé :
bivouaquer.
Curiosités
1.
échauguette : c’est une tour de guet sur un mur d’enceinte. L’étymon francique du mot, *
skarwahta, a d’abord désigné le petit groupe de sentinelles qui s’y abritait. Le mot francique est composé de *
skara, « section, troupe » et de *
wahta,« garde ». C’est par l’élément *
wahta que le mot fait aussi partie de la famille VIGUEUR. (Pour *
skara, voir famille
CORIACE.)
2.
guet-apens : d’abord
guet à pens, nom composé masculin avec le sens de « tout dessein prémédité de nuire. » Altération de la locution adverbiale
d’agais apensés, « avec préméditation », composée de
aguet (d’où, par aphérèse,
guet) et du participe passé de l’ancien verbe
apenser, « concevoir la pensée de, s’aviser de », dérivé de
penser. Cette locution a succédé à l’ancien français
en aguet apensé, même sens. (Pour
penser, voir famille
PENDRE).
3.
vedette : emprunt à l’italien
vedetta, « lieu élevé pour observer », lui-même peut-être issu d’un croisement de
veletta, « petite voile en haut du grand mât » et de
vedere, « voir ». (Voir famille
VIDÉO).
Vedetta pourrait aussi venir de l’espagnol
veleta, « girouette », dérivé de
velar, « monter la garde », issu du latin
vigilare. Le mot apparaît d’abord (1584) dans
être en vedette, « être en sentinelle », désignant d’abord le soldat puis sa guérite (cf.
échauguette ci-dessus). C’est ensuite l’idée d’ « être en vue » qui est retenue dans
mettre (un nom)
en vedette, notamment sur une affiche de théâtre.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
guet,
gai, gay et
gué !
- gai est peut-être emprunté de l’ancien occitan
gai, « pétulant, gai », lui-même issu du gotique
*gaheis,« impétueux », provenance qui serait due à l'influence des troubadours, ou plus vraisemblablement mot issu directement de l’ancien haut allemand
gāhi, d’où la forme attendue
jai. La prédominance de la forme avec
g- s’explique en particulier par les interférences constantes entre
gai et
gaillard. Dérivés :
gaieté, égayer, gaiement.
- gay est un mot anglais jadis emprunté au français, alors qu’il avait aussi, sans doute par euphémisme, le sens de « viveur, coureur ».
- gué est issu soit d’un francique *
wad-, « gué », équivalent du latin
vadum, même sens, et reconstitué à partir de l’ancien haut allemand
watan, « passer à gué, aller de l’avant », soit du latin
vadum devenu en bas latin *
wadum sous influence de l’apport lexical germanique de l’époque. Dérivés :
guéer, guéable, gadoue. [
1]
2.
guêtre est probablement issu de l’ancien bas francique *
wrist, « cou-de-pied », d’où sans doute « vêtement couvrant cette partie du corps », que l’on peut restituer d’après le moyen haut allemand
rist, le moyen néerlandais
gewreste, et l’allemand
Rist, même sens.
3.
velours représente une altération de l’ancien provençal
velos, « étoffe à poil court et serré », par adjonction d'un
-r, qui s'est produite au temps où la prononciation de la langue était hésitante dans les mots à
r final.
Velos était issu du latin
villosus, dérivé adjectival du verbe
velere, vulsus, « arracher les poils, la laine, etc ». Dérivés :
velouté, villosité, velu. [
2]
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
aguaite, guaita, vegetar, velar, veloz, vigente, vigía, vigilar, vigor, vivaque
port.
vegetar, velar, veloz, vigia, vigiante, vigiar, vigilar, vigor
it.
agguato, bivacco, guatare, vegeto, veglia, veloce, vigere, vigilare, vigilia, vigore
angl.
bivouac, vegetable, velocity, vigil, vigilant, vigour, wait, wake, waken, watch
all.
Beiwacht, Biwak, Wache, wachen, Wacht, Wachter, wecken
rus. бивуак, вахта, вегетарианец, велосипед
Notes :
1 Ces mots appartiennent probablement à une plus grande famille, celle issue de la racine indo-européenne *WADH-, « aller », dans la descendance de laquelle on trouve aussi
envahir, invasion, s’évader, etc. ainsi que les formes en
v- du verve
aller :
vais, vas, va, vont.
2 Ces mots appartiennent à une plus grande famille, celle issue de la racine indo-européenne *WEL-, « arracher », dans la descendance de laquelle on trouve aussi
laine, lange, flanelle, svelte, convulsion, etc.