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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Tuesday 01 May 12, 18:41 |
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Vogelfrei , un adverbe/adjectif composé dont le sens premier était : libre comme l'oiseau ( traduction littérale)
Voir ici pour plus d'explications.
Glossophile signale que l'expression peut être reliée à l'Antiquité:
Citation: | Ces chiens et ces vautours sont à verser au dossier des références antiques : ils dévorent les cadavres restés sans sépulture, et c'est la pire vengeance que l'on puisse tirer d'un ennemi que de lui refuser cette sépulture.
Toute la tragédie d'Antigone est là. |
Dernière édition par rejsl le Wednesday 02 May 12, 12:47; édité 1 fois |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Tuesday 01 May 12, 18:41 |
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Oui, j'y ai pensé, mais pour l'expression allemande, je n'ai pas trouvé la filiation directe avec une expression de l'Antiquité. En allemand, elle n'est attestée qu'assez tard. Elle est liée d'abord au bannissement , à la mise à l'écart de la société humaine , puis effectivement au refus d'accorder même une sépulture. Une autre définition de vogelfrei en latin est donnée au XVIème s: aqua et igni interdictus ou igni et aqua interdicere.
C'est peut-être là, le lien plus direct avec l'Antiquité? Une personne à qui on refuse les éléments nécessaires à la vie, l'eau et le feu, bannie de la société des humains et pour qui nul ne se souciera d'ensevelir son cadavre. |
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Glossophile Animateur
Inscrit le: 21 May 2005 Messages: 2281
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écrit le Tuesday 01 May 12, 20:02 |
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Citation: | Une autre définition de vogelfrei en latin est donnée au XVIème s: aqua et igni interdictus ou igni et aqua interdicere. |
Cette formule latine ne date pas du xVIe siècle, elle plonge ses racines dans l'Antiquité romaine :
Citation: | - aqua et igni alicui interdicere : interdire l’eau et le feu à qqn (= l’exiler). |
(Tiré du dictionnaire de Gérard Jeanneau.)
César écrit dans la Guerre des Gaules, VI, 44 :
Citation: | Nonnulli iudicium ueriti profugerunt, quibus cum aqua atque igni interdixisset, duas legiones ad fines Treuerorum, duas in Lingonibus, sex reliquas in Senonum finibus |
Dans la traduction de Nisard (je sais, j'ai la flemme de la refaire) :
Citation: | Après leur avoir interdit le feu et l'eau, César établit deux légions en quartiers d'hiver chez les Trévires, deux chez les Lingons, et les six autres sur les terres des Sénons, à Agédincum. |
Formule rituelle de malédiction : qu'on ne s'y trompe pas, priver d'eau et de feu, c'es une condamnation à mort !
Tout cela semble établir que la culture antique a laissé une profonde empreinte dans le monde germanique. |
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Glossophile Animateur
Inscrit le: 21 May 2005 Messages: 2281
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écrit le Wednesday 02 May 12, 16:14 |
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Précision supplémentaire :
vogelfrei renvoie très précisément ce passage d'Antigone, vers 23 à 30, dans la traduction de Robert Pignarre :
Citation: | On dit qu'il a enseveli Étéocle selon le rite, afin de lui assurer
auprès des morts un accueil honorable, et c'était son devoir; mais le malheureux
Polynice, il défend par édit qu'on l'enterre et qu'on le pleure : il faut l'abandonner sans
larmes, sans tombe, pâture de choix pour les oiseaux carnassiers ! |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Thursday 03 May 12, 8:43 |
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Renvoi ou simple coexistence d'une idée qui peut sembler somme toute assez universelle ? Je me demande si les Germaniques avaient besoin des Grecs pour savoir que les oiseaux charognards se repaissent des cadavres abandonnés. La mythologie et le folklore germaniques n'ont-ils pas déjà, de leur côté, toutes ces images depuis longtemps ? Est-ce que la "pâture-à-corbeaux" ou similaire ne s'y retrouve pas déjà depuis autant d'antiquité que chez les Grecs ?
C'est une question ; je n'ai pas la réponse. |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Thursday 03 May 12, 9:36 |
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Quelques remarques:
* Cette expression ne prend cette signification que vers la fin du XVème siècle. C'est-à- dire à une époque qui ne se réfère plus tellement à la mythologie germanique, les érudits parlent latin , étudient le grec et les œuvres de l'Antiquité. Le terme vogelfrei ( voir premières explications ici) signifiait au départ " libre comme l'oiseau".
* Il ne prend cette nouvelle signification qu'en rapport avec le domaine juridique. En tant que tel, ce n'est pas un terme de Droit. Fin du Moyen Âge, les pays de langue allemande avaient déjà fini d'être christianisés, les juges commentaient le Droit depuis longtemps en terme latins et on sait que le droit coutumier des différents peuples germaniques s'est vite trouvé confronté au droit romain auquel il a petit à petit cédé la place, du moins en grande partie.
* Vogelfrei : littéralement, c'est livré aux oiseaux , mais le terme implique bien plus: il est l'équivalent de cette formule latine que je donnais, trouvée chez Sebastien Franck qui l'a ainsi commentée. Vogelfrei équivaut au bannissement, au fait d'exclure quelqu'un de la communauté, il est alors interdit de lui procurer aide ou nourriture ( symboliquement eau et feu pour les Romains), il n'est plus protégé par aucune loi, tout un chacun peut le tuer s'il le désire ET la sépulture lui est refusée. Nous sommes là très proches de ce qu'on voit chez les Romains.
* Il existait aussi chez les Germains une forme de bannissement, un peu identique. Die Acht ou Ächtung , une sorte de mise au ban du groupe. Qui impliquait à peu près le même chose. Les biens de la personne ainsi rejetée entraient dans l'escarcelle du chef de clan qui avait prononcé le verdict, ou plus tard dans celle du roi ou de l'empereur , lorsque l'organisation de la société fut centralisée.
Mais, ici, nous nous intéressons d'abord à l'expression , travail lexical. Et vogelfrei, avec ce sens, n'est pas attesté en ancien saxon, norrois, ancien haut-allemand. On parlait de Acht et la personne était geächt. En ancien haut-allemand,ahta = poursuite, persécution. On trouvait aussi utlaegher ( hors de la loi du groupe) ou fridloser ( sans paix) pour désigner les gens punis de bannissement.
Vogelfrei est une création du Moyen Âge tardif, à une époque où le Saint- Empire romain germanique est puissant et bien organisé. D'où pour moi, cette possibilité que le terme ait pris ce sens sous l'influence de la culture latine.
Sinon, on ne comprendrait pas bien pourquoi il n'est pas attesté avant.
Dernière édition par rejsl le Thursday 03 May 12, 19:49; édité 1 fois |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Thursday 03 May 12, 11:08 |
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rejsl a écrit: |
Vogelfrei est une création du Moyen Âge tardif, à une époque où le Saint- Empire romain germanique est puissant et bien organisé. D'où pour moi, cette possibilité que le terme ait pris ce sens sous l'influence de la culture latine.
Sinon, on ne comprendrait pas bien pourquoi il n'est pas attesté avant. |
Sous l'influence de la culture latine, pourquoi pas, laquelle avait aussi comme tradition de laisser en certaines circonstances les cadavres servir de "pasture aux chiens et aux corbeaux".
L'image peuple toute la littérature du Moyen-Âge comme celle de l'Antiquité.
Son inspiration est à mon avis plus large que le monde gréco-latin, et on la retrouve aussi bien dans la poésie scaldique, où le cadavre est appelé banquet des loups, avoine des aigles, pâture des corbeaux, etc. Trouve-t-on les mêmes exemples dans la littérature germanique ancienne ?
Cette image a hanté l'esprit de nos ancêtres. Ils n'en n'ont pas tous fait un mot spécial, comme Vogelfrei. Nous n'avons pas cru bon de remplacer notre proscription ou notre bannissement par un mot semblable en français, quoique nous connussions tout aussi bien les images grecques et latines. La création et le maintien en vie d'un mot est affaire de circonstances. |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Thursday 03 May 12, 14:25 |
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L'image d'une mort considérée comme infamante si le corps ne reçoit pas de sépulture a effectivement hanté de nombreux peuples. La crainte d'être livré aux charognards se retrouve effectivement dans des textes anciens. Rappellons par exemple la Ballade des pendus de François Villon:
Citation: | La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz:
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d'oiseaulx que dez à couldre.
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Mais ce terme vogelfrei serait inapproprié dans le cas de personnes condamnées et exécutées et dont on laisserait la dépouille exposée pour faire peur, comme c'était le cas des pendus ou d'autres malheureux dont les corps étaient ostensiblement abandonnés en haut de pieux surmontés d'une sorte de roue.
Si le mot exprime au départ cette crainte, dans notre cas, il revêt une signification plus large et plus précise sur le plan juridique: la personne n'est pas directement condamnée à mort et exécutée, c'est pire: elle est radiée du monde des humains tout en étant encore vivante. Le terme évoque tout ce que j'ai cité plus haut : rejet hors du groupe, perte de la protection des lois du groupe, abandon complet et par conséquent ensuite, mort et corps dévoré par les oiseaux.
Les textes de poésie scandinaves ne s'opposent pas à ce que vous appelez la littérature germanique ancienne: c'est en fait la même chose. On distingue les peuples germaniques du Nord ( scandinaves/nordiques) et ceux du Sud; Pour ceux du Sud, il ne reste pour ainsi dire pas ou peu de traces écrites: pour certains, ils n'écrivaient pas , au moment de la conquète romaine, pour d'autres, l'assimilation forcée et la christianisation assez rapide ont peu à peu effacé ces traces. On connaît leurs croyances, modes de vie et organisation, en partie grâce à Tacite et son De Origine et Situ Germanorum, également à travers certaines œuvres épiques comme le Chant des Nibelungen ou Parzival qui bien qu'écrits à l'ère chrétienne, contiennent cependant de nombreuses traces des croyances et mentalités germaniques d'avant le christianisme.
La littérature du Nord, les Eddas par exemple, y concourent aussi.
Pour revenir à ce terme, justement, cette image Vogelfrei n'apparaît pas dans ces écrits, ni dans les écrits épiques médiévaux allemands ni dans ceux du domaine scandinave. Comme je le signalais, pour ce type de sanction, on y parle de friedlos ( le mot varie selon les époques et les langues): celui qui ne trouvera pas la paix, le repos.
Quel terme trouve -t-on dans d'autres langues germaniques?
* pour les langues de Norvège, on trouve: Fredløshet et Fredløyse . Où on retrouve la perte de la paix.
* pour le danois:Fredløshed : même idée
En revanche, le suédois atteste: Fågelfri qui correspond au vogelfrei allemand.
Et là, Wikipedia Suède explique :
Citation: | Ursprunget till uttrycket fågelfri står att finna i sacratio capitis, lat., ett fornromerskt straff, som bestod i förlust av alla mänskliga rättigheter. |
=
L'origine du terme fågelfri se trouve dans le sacratio capitis latin, une forme de punition qui consistait dans la perte de tous les droits humains.
On retrouve là cette même idée d'une influence du droit romain dans la naissance de ce terme; En tous cas, du point de vue suédois. |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Thursday 03 May 12, 15:10 |
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Merci pour ces informations supplémentaires très précieuses qui confirment que l'inspiration latine est plus probablement pertinente qu'un renvoi à Antigone qui ne concernait que l'absence de sépulture mais pas le bannissement. En attendant, cela m'oblige à revoir mes notions de droit romain, notamment pour distinguer la sacratio capitis de la aquae et ignis interdictio. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Thursday 03 May 12, 17:40 |
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Je mets mon petit grain de sel étymologique : les mots germaniques en -fri-, frei-, fred- et -fried- dont il a été question plus haut sont issus de la racine IE *prī-, "amour, paix, liberté" (Voir le MDJ effrayer). |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Thursday 03 May 12, 18:23 |
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rejsl a écrit: | En revanche, le suédois atteste: Fågelfri qui correspond au vogelfrei allemand. |
Le néerlandais a de même vogelfrij, qui vient de l'allemand.
Je n'ai pas déterminé si le suédois était ou non dérivé de l'allemand ou une création originale. Elle se comprendrait d'autant plus que les terres nordiques sont celles par excellence du hors-la-loi. Le mot anglais outlaw vient lui-même du vieux norrois ūtlagr, banni, formé sur les radicaux "hors" et "loi". |
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rejsl Animatrice
Inscrit le: 14 Nov 2007 Messages: 3672 Lieu: Massalia
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écrit le Thursday 03 May 12, 20:44 |
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Le mot suédois semble également dérivé de l'allemand.
Une étude de l'université de Munich précise qu'en ancien suédois ( Altschwedisch) il y avait Citation: | (aschwed. utlagher), | . En anglo-saxon : ütlah. L'ancien haut-allemand a connu un équivalent : elos qui n'est pas resté.
Justement, le fait que les pays nordiques n'aient pas créé ce terme plaide, à mon avis, pour l'influence de la culture latine dans l'apparition de ce terme lexical. Le bannissement en tant que tel existait bien chez les différents peuples germaniques, tant du Nord que du Sud, sous des formes et dans des conditions différentes d'ailleurs que celles décrites pour les Romains. Les germains nordiques n'en usaient pas plus que leurs cousins Bayouvares ( actuels Bavarois) par exemple; Mais les groupes germaniques du Nord sont restés plus longtemps loin de cette culture latine . Elle s'y introduit tardivement, après la christianisation qui s'étend jusqu'au XIème siècle. |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Thursday 03 May 12, 21:57 |
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rejsl a écrit: | En anglo-saxon : ütlah. |
Oui, de la famille de outlaw donné plus haut. |
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