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Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
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écrit le Sunday 07 Dec 14, 16:09 |
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Embler est défini par Littré au sens de "ravir avec violence ou par surprise".
C'est un verbe qui est déjà considéré comme vieux par le dictionnaire de Richelet, en 1680. Pourtant, Saint-Simon l'emploie encore : "M le Prince embla à mon père la capitainerie des chasses de Senlis".
Et le TLFi donne un emploi, archaïsant, chez Balzac (Me Cornelius).
Il provient, par évolution naturelle, du latin involare.
Chose intéressante, ce verbe composé "involare" a connu, dans la langue latine, la même évolution sémantique que, plus tard, le verbe simple français, "voler".
In-volare, c'est d'abord "voler sur qque-chose, se précipiter sur" :
- au sens propre, comme chez Varron (R 3.7.1) : "in villam involant columbae : les colombes s'abattent sur la villa"
- comme au sens figuré, comme chez Cicéron (De Or, 3.122) : "prudentiae doctrinaeque possessio, in quam homines otio abundantes involaverunt : ce domaine de la philosophie et de la science sur lequel se sont précipités des hommes regorgeant de loisir"
Mais très rapidement "involare" a pris le sens de "dérober, ravir" : déjà chez Catulle : "pallium quod involasti" (25.6), ou chez Pétrone. C'est visiblement un emploi populaire.
Tacite l'emploie à son tour dans un sens militaire : attaquer, saisir, prendre par force.
[rem curieuse : selon Servius, involare : dérober viendrait en réalité de l'expression intra volam tenere : tenir dans sa paume]
Dans l'évolution des langues romanes, ce "involare" au sens de dérober s'est au moins autant maintenu (cf ancien français : embler, provencal : envolar, ancien catalan : emblar, italien dialectal : involare), que des synonymes de latin classique (rapere : cf français : ravir, italien : rapire).
En français, le verbe simple "voler", dont le sens a connu la même évolution au cours du XVIe siècle, a alors concurrencé puis éliminé le composé "embler" et le terme d'origine germanique "rober" (cf cependant "dérober").
En revanche, la locution d'emblée est restée en français :
Il est intéressant de noter que, dans ses premiers emplois, l'expression a un sens légèrement différent du verbe : il signifie souvent "clandestinement, en cachette" :
encore chez Rabelais, dans Gargantua : "es convens de femmes n'entroyent les hommes, sinon à l'emblée et clandestinement".
L'expression est longtemps employé dans un sens militaire, au sujet de la prise d'une ville : le sens semble alors être à la fois "par surprise" et "du premier coup":
cf Vaugelas : la ville est trop bien munie pour l'emporter d'emblée. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 07 Dec 14, 16:49 |
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La belle envolée que voilà ! Merci Horatius !
Juste un petit ajout : le verbe embler s'est aussi écrit ambler par erreur, par attraction paronymique de son homonyme le verbe ambler, "aller l'amble" (Voir ambulare). |
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Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
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écrit le Sunday 07 Dec 14, 18:54 |
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Citation: | le verbe embler s'est aussi écrit ambler |
Intéressant ! tu lis ça où ? |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Sunday 07 Dec 14, 18:59 |
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TLF, article ambler, remarque 2.
Rem. 2. Le sens vx de ,,Voler, ravir`` (Ac. Compl. 1842) appartient à un homon. (a. fr. embler, lat. involare, avec attraction paron. de ambler). |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Sunday 07 Dec 14, 19:04 |
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Horatius a écrit: | En revanche, la locution d'emblée est restée en français :
Il est intéressant de noter que, dans ses premiers emplois, l'expression a un sens légèrement différent du verbe : il signifie souvent "clandestinement, en cachette" :
encore chez Rabelais, dans Gargantua : "es convens de femmes n'entroyent les hommes, sinon à l'emblée et clandestinement".
L'expression est longtemps employé dans un sens militaire, au sujet de la prise d'une ville : le sens semble alors être à la fois "par surprise" et "du premier coup":
cf Vaugelas : la ville est trop bien munie pour l'emporter d'emblée. |
Si j'en crois les exemples relevés par Godefroy, le sens de "clandestinement" est surtout associé aux expressions en emblée, à l'emblée ou par emblée (j'adopte ici une graphie moderne), pas à d'emblée.
La locution moderne d'emblée est plus récente et d'abord utilisée dans le sens militaire comme dit plus haut, avec une intéressante nuance que note Nicot : Prendre une ville d'emblée, c'est par subtilité et au desaperceu, le contraire est d'assaut et par force ouverte. |
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embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3875 Lieu: Paris
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écrit le Monday 08 Dec 14, 15:02 |
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Le latin volare a peut-être un lien avec cette excellente compagnie d'aviation indonésienne :
En effet, comme l'indiquent Ernout & Meillet :
Lire sur Wikipédia Garuda, l'homme ailé symbole de l'Indonésie. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Tuesday 09 Dec 14, 12:15 |
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L'isolement du latin uolare en indo-européen est si surprenant que je vais oser une hérésie, une hypothèse qui va à l'encontre de toutes les lois de la phonétique historique. Disons que je vais faire un peu de "poésie", selon l'expression maintenant consacrée : et si le latin uolare avait quelque chose à voir avec le germanique *fleugan "voler" d'où sont issus nombre de mots comme les mots anglais to fly "voler", fly "mouche" et fowl "volaille, volatile" ?
Je laisse aux spécialistes le soin de me prouver que c'est parfaitement impossible.
En attendant, je remarque qu'il n'existe pas de verbe latin *polare qui aurait été un correspondant phonétiquement plus acceptable du germanique *fleugan. Se pourrait-il qu'un tabou religieux ou sexuel ait amené à dire uolare au lieu de *polare ? Ou alors que uolare soit ce qui reste d'un ancien *puolare ?
On a pluma, quand même, quoi qu'en disent Ernout et Meillet, que, doublement hérétique aujourd'hui, je vais me permettre de contester. Ils disent, à propos de l'étymologie de pluma, Terme populaire sans correspondant exact ... Il faut écarter, à cause du sens, le rapprochement avec le vieux haut allemand fliogan "voler" !
Ils n'ont jamais vu une aile d'oiseau, ma parole ! Moi, c'est justement à cause du sens que je les rapproche.
Ce qui me rassure, c'est que le rapprochement a été fait, c'est déjà quelque chose.
Pour un parallélisme sémantique éventuel avec le trio voler, aile, plume, voir la grande famille PÉTITION.
Pour le rapport avec l'évolution sémantique de involare, voir la note 1. |
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Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11201 Lieu: Meaux (F)
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écrit le Saturday 24 Dec 16, 9:28 |
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J'avais fait l'hypothèse *puolare ci-dessus avant de découvrir la chute du p indoeuropéen dans les langues celtiques.
Ce phénomène conforte mon hypothèse et me permet d'ajouter que uolare pourrait donc être d'origine celtique, racine IE *pleu- "couler ; voler".
NB : en arabe aussi l'étymon {ṭ,r} est porteur de ce double sémantisme ; on y trouve aussi bien l'avion que la pluie.
Gastal a identifié un gaulois volo- à partir de toponymes (Volisama) et de patronymes (Volisios) trouvés sur des monnaies mais il en ignore le sens. |
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