Les grandes familles de mots




« L’appétit du coléoptère »

La famille PÉTITION


Patriarche indoeuropéen : *PET-, « se lancer, s’envoler, essor ; chute[1


Les branches

1. Les principaux ancêtres de la famille sont l’adjectif latin perpetuus, « qui s’avance d’une manière continue » et surtout le verbe petere, « chercher à atteindre » et ses dérivés : repetere, « aller rechercher, attaquer à nouveau », appetere, « convoiter », competere, « se rencontrer au même point, être en état convenable pour », impetere, « se jeter sur ». Leur descendance se reconnaît au radical -pet- :

pétition, pétitionnaire, pétulant, pétulance, appétit, appétissant, appétence, inappétence, répéter, répétition, répétitif, répétiteur, compétent, compétence, incompétent, incompétence, compétition, compétitif, compétiteur, impétueux, impétuosité, impétigo, centripète
perpétuité, perpétuer, perpétuel, perpétuellement, perpète


Le mot péripétie est aussi de la famille mais il est quant à lui issu d’un cousin grec περιπετεια, peripeteia, « malheur imprévu, phase d’une tragédie ».


2. Un autre grand ancêtre est le nom latin penna, « aile, grosse plume des ailes », issu d’un hypothétique *pet-nā, et dont le paronyme pinna , « plume, aile, nageoire, aileron ; merlon de créneau » est probablement une variante dialectale. En sont issus la plupart des mots en -pen(n)-, -pan(n)-, et -pin(n)- :

penne, pennon, pennage, penné, penniforme, empenner, empenne, empennage
panne, dépanner, dépannage, dépanneuse, panonceau, panache, panacher, empanaché, panachure, panachage
pinacle, pinnule, pinnipède



3. La famille a aussi une branche grecque. Outre περιπετεια vu plus haut (branche 1), ses principaux membres sont les noms πτερον, pteron, « aile », πτωσις, ptôsis, « chute », et son dérivé préfixé συμπτωμα, sumptôma, « coïncidence ». En sont issus des mots en ptéro-, -ptère, et -pto- :

ptérodactyle, aptère, coléoptère, diptère, hélicoptère
ptôse
(ou ptose), symptôme, symptomatique, asymptote

Les invités masqués

1. Il est méconnaissable : parpaing : “pierre de taille traversant l’épaisseur d’un mur” puis “parallélépipède de mortier de ciment”, est issu du latin vulgaire *perpetaneus, lui-même issu de perpetuus, “sans interruption, durable” (branche 1).


2. Il a changé le premier n en g : pignon, réfection graphique de pinnon, issu d’un latin populaire *pinnionem, lui-même issu de pinna (branche 2). (Voir Curiosité 1).

Curiosités

1. pignon : c’est probablement par analogie avec le sens de « merlon de créneau » qu’a eu le mot pinna que – tout comme pinacle (voir ci-après) – le mot a servi en ancien français à désigner le sommet d’une montagne. Il désigne maintenant la partie supérieure d’un mur. Il a pignon sur rue se disait autrefois du propriétaire d’une maison de ville dont la façade à pignon donnait sur la rue ; se dit maintenant d’un commerçant aux affaires florissantes, installé dans un lieu connu et bien situé.


2. pinacle : du latin pinnaculum, dérivé diminutif de pinna. À l’origine le pinacle était le “faîte d’un édifice”, et en particulier celui du temple de Jérusalem. Il a aussi servi à désigner le sommet d’une montagne ; porter qqn au pinacle, c’est donc le porter aux nues, en faire grand éloge.


3. pire : du latin pejor, « plus mauvais » et pessimus, « le plus mauvais ». Via une forme hypothétique *pedyos, « ce qui fait une chute, ce qui tombe », la plupart des étymologistes rattachent ces deux mots à notre racine[2]. Dérivés : pis (adv.), empirer, péjoratif, péjorativement, pessimiste, pessimisme.

(Pour le nom empire, sans rapport avec le verbe empirer, voir la famille PART. Et pour l’adjectif empirique, voir la famille PORT).


4. propice est probablement aussi de la famille. Il est issu de l’adjectif latin propitius, « (dieu) favorable, bienveillant », terme de la langue religieuse qui s’est ensuite étendu aux hommes et aux choses ; est propice ce qui « va au-devant » des attentes. Dérivés : propitiation, propitiatoire.

Homonymes et faux frères

1. Il y a panne et panne !
Tous deux issus de penna (branche 2), ils sont donc tous deux de la famille.
panne : nom d’étoffe, attesté sous les formes penne puis pane et enfin panne. Le mot est attesté en gallo-roman avec le sens de “fourrure”, peut-être sous l’influence du germanique *fethrō (cf. angl. feather) qui avait les deux sens de “plume” et de “fourrure”. Il désigne maintenant un tissu à poils couchés brillants utilisé dans la confection de vêtements (cf. esp. pana).
panne : terme de marine, attesté sous les formes pene, puis pane, puis penne, et enfin panne. Il désigne la plus longue pièce d’une vergue latine s’amincissant vers le bout comme l’extrémité d’une plume. C’est avec ce sens qu’il est entré dans les locutions techniques mettre en panne, être en panne qui concernent l’orientation des vergues permettant d’arrêter la marche d’un navire. D’où le sens moderne s’appliquant à tout arrêt anormal de fonctionnement d’une machine.


2. Il y a penne, pêne et peine !
penne, issu lui aussi de penna, est de la famille. Il a été évincé de l’usage commun par plume et appartient aujourd’hui au langage des ornithologues pour désigner uniquement les grandes plumes des ailes et de la queue.
pêne : via les anciennes formes pesne et pesle, est issu du latin pessulus, « verrou, pièce mobile d’une serrure ou d’un verrou », lui-même du grec passalos (< *pagyalos), « clou, cheville, piquet » (voir famille PACTE.)
peine : est issu du latin poena, lui-même emprunté au grec ποινη, poinê, terme juridique désignant la compensation versée pour une faute ou un crime. Dérivés : peiner, pénible.


3. Il y a pignon et pignon !
Outre le pignon vu plus haut, il y a un pignon qui désigne "la graine comestible du fruit du pin". Le mot est issu du provençal pinhon, dérivé de pinha, « pomme de pin », du latin pinea, de pinus, « pin ».


4. Il y a pis et pis !
Outre l’adverbe pis vu plus haut aux côtés de pire, il y a un nom masc. pis qui désigne la mamelle d’une bête laitière, et qui est – comme poitrail et poitrine – issu du latin pectus, « poitrine, cœur ».


5. Ne sont de la famille ni pan ni panneau (< lat. pannus, « morceau d’étoffe »), ni pétanque (famille PIED) ni péter (< lat. pedere) ni petit (< lat. vulg. *pittittus) ni pétrir (< lat. pinsere, pistus) ni pénis (< lat. penis).

Dans d’autres langues indoeuropéennes

esp. apetecer, asíntota, competir, helicóptero, ímpetu, pana, pedir, pendón, peña, perpetuo, petición, petulante, pináculo, propicio, repetir

port. apetite, competência, helicóptero, ímpeto, pedir, repetir

it. federa, penna, pennone, perpetuo, propizio, ripetere

angl. appetite, compete, feather, fern, (a) fit, impetuous, panache, pen, penna, pennon, perpetual, petition, pin, pinnacle, propitius, repeat, symptom

all. Appetit, Farn, Feder, federn, fiedern, Fittig, Helikopter, Pessimist

rus. аппетит, репетиция, симптом

Notes :

1 On peut comprendre comment on est passé de l’idée d’envol à celle de chute par l’emploi de la préposition sur après des verbes comme se lancer, se jeter, tomber. Le vol d’un rapace s’abattant sur sa proie donne une bonne idée du sémantisme de cette racine.

2 Pour une autre hypothèse, voir famille PIED, note 4.








Les grandes familles de mots

par Jean-Claude Rolland

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