« Le cellier du receleur sourcilleux »
La famille CELER
Patriarche indoeuropéen : *KEL-, « couvrir, cacher »
Les branches
1. Les principaux ancêtres de la branche latine sont le verbe
celare, « cacher, tenir secret », le nom
cella, « chambre », le nom
cilium, « paupière », et l’adjectif
occultus, « caché ». En dérivent un certain nombre de mots français en -
cel(l)-, -
cil(l)- et -
cult- :
celer, déceler, indécelable, receler, recel
cellier, cellule, cellulite, cellulaire, cellulose, celluloïd, cellophane
cil, sourcil, ciller, sourcilleux, sourciller
occulte, occulter, occultation, occultisme, occultiste
NB :
cellophane est un mot hybride : son premier élément est d’origine latine, et le deuxième d’origine grecque. [
1]
2. Toujours parmi les ancêtres latins, nous avons fait une place à part au nom
color, gén.
coloris, étymon de
couleur et de ses nombreux dérivés en -
color- :
colorer, colorant, décolorer, décolorant, colorier, coloriage, incolore, bicolore, tricolore, multicolore, coloration, coloriste, décoloration, coloris, ...
Où l'on voit que mettre de la couleur sur quelque chose, c'est en quelque sorte en cacher l'aspect originel...
3. Il y a une petite branche grecque représentée par le verbe
καλυπτειν, kaluptein, « cacher » d’où sont issus
Calypso, apocalypse et
eucalyptus (voir Curiosités), et peut-être
κολεον, koleon, « fourrure, étui », d’où sont issus le nom de la plante appelée
coleus et le premier élément de
coléoptère. (Pour l’élément -
ptère, voir famille
PÉTITION, branche 3). [
2]
4. Cette famille a enfin une branche germanique dont les deux principaux descendants français sont les noms
halle et
heaume, où l'idée de
couvrir a évolué en l'idée de
protéger, d'
abriter. L’emprunt à l’anglais
hall est évidemment un cognat du premier. Quant au second, il est présent sous sa forme avec
l non vocalisé dans le deuxième élément du prénom allemand
Wilhelm et dans la variante
Guilhem de
Guillaume, où on le retrouve sans son
h. Quant au prénom
Anselme, il a perdu le
h mais gardé le
l. (Pour les dérivés de
Guillaume, voir Curiosités.)
Les invités masqués
1. Forcément masqué, celui-là ! Il dissimule la voyelle qui sépare le
c du
l (branche 1) :
clandestin est un emprunt au latin
clandestinus, même sens, lequel est apparenté à l’adverbe
clam, « en cachette, à la dérobée ». Dérivés :
clandestinement, clandestinité.
2. Il a changé en
ss le
c de
cil (branche 1) :
dessiller. Il se rencontre aussi, quoique plus rarement, sous la forme
déciller. Au sens propre et à l’origine, terme de fauconnerie signifiant « découdre les paupières (du faucon) » ; sens figuré usuel dans la locution
dessiller les yeux de qqn, « lui faire retrouver sa lucidité, lui permettre de voir clair, de comprendre ».
Curiosités
1. L’
Apocalypse : dernier livre du Nouveau Testament. Écrit, croit-on, par Jean de Patmos, le quatrième évangéliste, il traite de la fin du monde. Mot dérivé du grec
αποκαλυπτειν, apokaluptein, “révéler (ce qui était caché)”. Dérivé :
apocalyptique.
2.
Calypso et
eucalyptus : la première est la nymphe
cachée ou
cachottière qui recueillit Ulysse après son naufrage et le garda dans sa grotte pendant sept ans. Quant au second, l’arbre
bien couvert, il est ainsi nommé parce que le limbe de son calice reste fermé jusqu’après la floraison.
3.
Guillemet et
Guillotin sont deux diminutifs de
Guillaume. Le premier est le nom de l’imprimeur qui inventa les
guillemets, et le second celui d’un médecin qui, semble-t-il, inventa la
guillotine.
Quant au nom de la
williams, variété de poire, il est dérivé du prénom
William, l’équivalent anglais de
Guillaume.
Williams, avec un
s à la fin, était le patronyme du jardinier du XVIIe s. ou de l’instituteur du XVIIIe – on ne sait pas très bien – à qui les Anglais doivent ce fruit venu de Calabre via la France.
L'élément -
wil- de
William et Wilhem, devenu
Guil- dans
Guillaume, est issu d'une racine *WEL-, "vouloir, volonté".
4. La
Valhalla : c'est le
hall céleste dans laquelle le dieu celte Odin accueille les âmes des héros tués dans la bataille.
Homonymes et faux frères
1. Il y a
celer,
seller et
sceller !
-
seller est un dérivé de
selle, lui-même issu du latin
sella, « siège, chaise à porteur, chaise percée, selle ». (Voir famille
SÉDIMENT).
-
sceller est dérivé de
sceau, lui-même issu du latin populaire *
sigellum, altération du classique
sigillum (Voir famille
SIGNE).
2. Il y a
cil et
sil !
sil, terme technique rare, est un emprunt direct au latin
sil, gén.
silis. Il désigne l’argile ocreuse avec laquelle les anciens faisaient des poteries rouges ou jaunes.
3. Il y a
halle,
hâler et
haler !
–
hâler est d’origine incertaine, peut-être issu du francique *
hallôn, « sécher ». Dérivé :
hâle.
–
haler est un emprunt au germanique *
halôn, « amener, aller chercher » ; en normand, il a gardé le sens général de « tirer ». Dérivé :
halage, usuel dans
chemin de halage.
4.
culte est sans rapport avec
occulte. Il relève de la famille
COL où l’on trouvera par ailleurs nombre de mots en
col- qui sont sans rapport avec
colorier ou
coléoptère.
Dans d’autres langues indoeuropéennes
esp.
ceja, celda, clandestino, coleóptero, color, colorado, oculto, guillotina, yelmo
port.
celeiro, clandestino, coleóptero, cor, oculto, guilhotina
it.
celare, cella, cellaio, ciglio, clandestino, colore, elmo, occulto
angl.
cell, cellar, clandestine, coleopterous, colour, conceal, hall, hell, helm, helmet, hold, hole, hollow, holster, hull, occult, supercilious
all.
Halle, hehlen, Helm, Hölle, Hülle, Hülse, Keller, Kellermeister, Kellner, verhüllen, Zell
rus.
апокалипсис, келья, оккультный, холл, целлофан
Notes
1 L’élément -
phane est issu d’une racine indoeuropéenne *BHĀ- via le grec
phainein, phainesthai, « faire briller, faire voir, paraître ». Autres dérivés :
fantôme, fantaisie, fantasme, diaphane, épiphanie, ...
2 La racine *KLEP- (> grec
κλεπτειν, kleptein, « voler, dérober », > fr.
clepsydre et
cleptomane), traitée à part par nos auteurs, est probablement – et selon les mêmes auteurs – une extension de *KEL-.