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Le canal de Marans à La Rochelle

(version originale de l'article publi é dans Fluvial n°199 de février 2010)

 

 

Vingt kilomètres, huit décennies de travaux. Ainsi peut-on résumer l’histoire de ce canal qui n’a guère servi, mais riche d’un réel potentiel touristique.

 

 

Sur cette carte de l’époque de Trudaine, et dans le style de son Atlas, apparait la « rivière de Rompsay » redressée pour devenir le futur canal

 

À l’aube du XIXe siècle, Napoléon 1er relance un projet du siècle précédent. Pour dynamiser le port de La Rochelle en le raccordant par voie fluviale à son arrière-pays, et même… à Paris.

La Rochelle : un port enclavé
S’il avait vécu à cette époque, un technocrate aurait dit que les contre-performances économiques de la plate-forme portuaire de La Rochelle en regard de ses potentialités en capacité de fret massifié sont dues à l’insuffisance d’un hinterland trop peu maillé pour lui permettre d’occuper un positionnement stratégique fort sur le marché concurrentiel des flux commerciaux nationaux et internationaux. En français, disons simplement que le port de La Rochelle est certes très chouette, mais qu’il souffre d’un manque de voies de communication vers l’intérieur du pays pour pouvoir donner sa pleine mesure. Ce qui revient au même.

 

Le projet initial et la réalisation définitive

 

Une liaison difficile
La Rochelle dépend alors beaucoup de Marans : des produits alimentaires comme les céréales ainsi que les matériaux pour les chantiers navals de Rochefort y transitent. Les charrettes chargées ont bien du mal à relier la cité huguenote à Marans par une route encombrée qui revient cher en entretien, impraticable par mauvais temps. De Marans à Niort, la Sèvre, pas encore canalisée et très sinueuse, est difficilement remontée par des gabares portant 16 à 20 tonneaux qui doivent composer avec les dépôts vaseux et les inondations. Cette situation va favoriser l’émergence de projets de liaisons fluviales entre La Rochelle à Niort.
Ainsi par exemple, à l’époque de Trudaine, nous voyons déjà apparaitre un projet de redressement de la « rivière de Ronçay » (Rompsay) en vue de constituer le premier maillon d’une future liaison de La Rochelle à Niort.
Corrélativement, ce canal aurait un rôle de drain pour cette région marécageuse et de chasse des vases du port de La Rochelle.
Là-dessus passe la Révolution. Peu après son couronnement, le « Petit Caporal » relance le projet en signant, le 17 juillet 1805, le décret décidant les travaux. Le canal doit relier Niort à La Rochelle, en 44 kilomètres, via Arçais puis La Grève-sur-le-Mignon (par la Broue d’Arçais vraisemblablement), d’où il rejoindrait Grolleau, à Dompierre-sur-Mer presque en ligne droite par Courçon et Longèves. De là il emprunterait la rivière de Rompsay redressée jusqu’à La Rochelle. « Les travaux ne dureront que cinq ans » estime-t-on.

 

Plan de La Rochelle en 1929 (guide Michelin). Le canal apparait en bas à droite. Il débouche alors dans le bassin extérieur par une écluse aujourd’hui disparue, de même que le port fluvial remplacé par l’immeuble « Le Bastion ». Il en subsiste le « quai de Marans », une simple rue.

L'écluse de La Rochelle au début du XXe siècle. Elle a disparu depuis.

 

Marans proteste
L’empereur désire prolonger ce canal bien au-delà de Niort, jusqu’à la Loire par le Clain et la Vienne. La Rochelle serait ainsi reliée à Paris par le canal d’Orléans. Mais pas Marans, qui se trouve ainsi écartée de cet axe fluvial, et qui proteste.
La cité de la poule aux œufs roux obtient gain de cause en 1824. On modifie alors le projet en dirigeant la voie d’eau de Dompierre vers elle et en canalisant la Sèvre. De 44 kilomètres, le canal proprement dit est ramené à 24. Les cinq ans prévus en 1805 sont déjà dépassés depuis quatorze ans. Et malgré ce raccourcissement du tracé, les retards ne vont cesser de s’accumuler.

 

Le pont d’Andilly, vers la gare, au début du XXe siècle

 

Les difficultés s’accumulent
Certes, le chantier aurait dû durer ainsi moins longtemps. Mais les galères vont succéder aux galères. Elles sont d’ordre économique et pratique.
Le financement tout d’abord n’est pas chose aisé tant les investissements sont importants en raison des difficultés techniques. Nous sommes en pleine période du Plan Becquey, et l’Etat encourage la création de compagnies concessionnaires qui financent les travaux de création de voies d’eau, travaux qu’il réalise. Ca marche généralement bien ailleurs. Mais ici, l’importance des sommes à engager en raison des difficultés techniques fait reculer bien des candidats.
La gestion humaine du chantier pose également de gros problèmes. Et pour cause : on emploie la main d’œuvre la meilleur marché, quasiment gratuite : les forçats et prisonniers de guerre espagnols et italiens. Mais toute cette population, qui travaille dans des conditions d’insalubrité et de danger qui feraient blêmir le moins scrupuleux des inspecteurs du travail, est évidemment nettement moins motivée à manier la pioche qu’à échafauder des plans d’évasion. Il faut donc l’entourer d’un service de garde conséquent… et coûteux. Et l’on perd ainsi ce que l’on croit économiser.
La population locale s’y met aussi. Ce chantier qui s’éternise occasionne bien des gênes dans la vie courante : ponts et routes coupés, puits asséchés ou au contraire formation de nappes d’eau stagnante propices aux miasmes de toutes sortes… Et un certain mécontentement est nettement perceptible parmi les riverains qui protestent de pétition en réclamation. Il faut alors prévoir d’autres travaux complémentaires : établissement de passerelles, recreusement de puits, fossés de drainage… Tout cela a un coût…

 

Non loin de Marans, le canal passe au-dessus des canaux de la Brune et de la Banche par des siphons.

La tranchée de Dompierre dans les années 1950

 

Quand ça va mal, ça va mal…
Et quand on a la Nature contre soi, rien ne s’arrange. Le canal traverse des terrains marécageux à l’extrême : nous sommes, autour de Marans, dans l’ancien golfe des Pictons, et il coupe en plusieurs points des drains établis là depuis des lustres pour assécher ces marais, les canaux de la Brune et de la Banche, par exemple. Ces derniers doivent pouvoir continuer à tenir leur rôle de drains évacuateurs, pas question qu’ils soient barrés par la digue du canal. Alors ils doivent passer en siphon dessous. Mais allez donc assoir ce genre d’ouvrage dans un sol pareil ! On y arrivera pourtant, mais non sans mal. De même les écluses de Marans et d’Andilly (1) demanderont-elles des travaux conséquents pour être établies avec toute la stabilité requise. Et ne parlons pas des ponts…
Et quand il ne traverse pas des marais, le canal se heurte à la roche. La colline de Dompierre, du haut de ses 33 mètres, se présente comme un obstacle qu’il n’est question ni de gravir avec des écluses (comment alimenterait-on alors le canal ?), ni de contourner, ce serait beaucoup trop long. Alors on tape dedans et on va percer ainsi le tunnel de Saint-Léonard, long de 800 mètres. Il faudra 60 ans pour en venir à bout…

 

Le tunnel Saint-Léonard, au début du XXe siècle. 60 ans de travaux pour 800 m !

 

Enfin !! Le canal est ouvert…
Le canal est enfin ouvert à la navigation en 1875. Encore ne rejoint-il pas encore le port de La Rochelle, ce qui sera chose faite en 1888 seulement. Il arrive dans le canal Maubec, qui n’est qu’un canal de chasse, et communique avec le bassin à flots extérieur par une écluse, en passant au nord des fortifications qui feront place bientôt à la gare ferroviaire, et bien plus tard à l’Aquarium de La Rochelle (2).
Dans le même temps, et un peu plus rapidement, la Sèvre est canalisée à partir de Niort avec neuf écluses (3) d’un bon gabarit Becquey en dimensions horizontales. De plus, ses derniers méandres seront court-circuités à la fin du XIXe siècle par le canal maritime du Brault, entre Marans et l’anse de l’Aiguillon. Quant au prolongement de la liaison fluviale de Niort vers le Clain et la Loire, si on en parle encore, elle ne recevra jamais un début d’exécution.
Le canal va descendre à La Rochelle des matériaux routiers et des briques, du bois de brûle, des produits agricoles comme huiles, sabots et fumier. Il en remontera des charbons, tourbes, matériaux de construction, produits industriels et agricoles, sel, peaux… Le trajet demande 8 heures. Les ingénieurs des Travaux Publics vont même jusqu’à concevoir un nouveau type de gabare, plus adapté à la navigation en canal, et plus porteur, pour remplacer l’ancien chaland de Sèvre à deux levées et dirigé avec un grand aviron en godille. Un service de remorqueurs à vapeur sera installé pour faciliter le trafic.
Néanmoins, les chiffres n’atteindront jamais les objectifs attendus : le tonnage annuel culminera en 1887 avec 5700 tonnes. On en espérait dix fois plus.
Et le canal va rapidement perdre son fret après 1918.

 

Gabare de Sèvre d’avant la canalisation. Elle est de la famille des scutes. Elle porte 16 à 20 tonneaux. (Maquette Maison du Marais Poitevin, Coulon)

Le nouveau type de gabare conçu par les ingénieurs au XIXe siècle. Elle porte 30 à 60 tonneaux. (Dessin d’ingénieur, Maison du Marais Poitevin, Coulon)

 

Inadéquation…
Il faut dire qu’on a fait une boulette de taille. Toute la terre extraite de la cuvette du canal, qu’en a-t-on fait ? On l’a déposée sur sa rive sud, comme une sorte de digue. Idéal pour y installer une ligne de chemin de fer ! Cette dernière, qui relie La Roche-sur-Yon à La Rochelle, est ouverte en 1871, avant même l’achèvement du canal. Sans commentaire. Nous verrons cependant plus loin que cette disposition préservera d’une certaine manière le canal d’un aménagement qui aurait à jamais hypothéqué gravement son avenir.
De plus, les caractéristiques techniques du canal et de la Sèvre et l’absence de cités portuaires importantes sur le parcours total contribuent à son abandon au profit d’autres moyens de transport qui se développent, le rail d’abord puis la route. Enfin, la création, dès 1880, du bassin en eau profonde de La Pallice, c'est-à-dire à l’opposé du débouché du canal, rend la connexion entre celui-ci et le port encore plus inutile.
80 ans de travaux, à peine 40 de service. Difficile de conclure par « bilan globalement positif » (4).

 

Une gabare « nouveau modèle » à l’écluse de Comporté, à Niort, au début du XXe siècle.

 

Le canal devient paysage
Si le canal est un échec comme voie de transport, il réussit néanmoins à se faire apprécier des Rochelais, et notamment des plus aisés d’entre eux, pour qui il devient un élément agréable du paysage. À l’instar des naviglie de Lombardie, de nombreuses demeures bourgeoises s’édifient à sa proximité, et il constitue un espace de loisir et de détente, une « coulée verte » bien avant que le mot soit à la mode. Bien sûr, ses rives verront s’y établir des guinguettes, comme celle du Robinson, installée dans le manoir de Beaupréau, qui ouvre son vaste parc aux Rochelais de toutes conditions.
C’est sans doute cet attrait qui évitera au canal de se voir transformé en voie rapide dans les années 60, comme c’est alors la mode ailleurs. Il était en effet idéalement placé pour ça, et il est bien certain que plus d’un technocrate nourrissait ce genre de projet funeste pour lui.
C’est là aussi que l’établissement de la voie ferrée sur le talus qui le borde lui sauve la mise, en obligeant la voie rapide de contournement sud de La Rochelle (la RN 137) à passer très au-dessus de l’axe voie ferrée-canal. Sans elle, il est probable que le canal aurait été coupé irrémédiablement par un talus busé à Rompsay, sans autre forme de procès.
Radié de la nomenclature des voies navigables le 27 juillet 1957, le canal est inscrit au titre des sites le 15 mai 1970 de La Rochelle à Dompierre, et en 1978, il est concédé au département de Charente Maritime qui en devient propriétaire en 2007. Ce dernier lance un vaste projet visant à le revitaliser : dévasement, réhabilitation des ouvrages, rénovation et éclairage du tunnel Saint-Léonard sont au programme ainsi que la création de cheminements pédestres et cyclables, et d’un « pôle Nature ».

 

Le pont de Grolleau, à la sortie nord de Dompierre. De la belle ouvrage !

 

Vers le retour de la navigation ?
Il n’est pas encore question de navigation, mais ne crachons pas dans la soupe, tout cela va dans le bon sens. Le canal est déjà praticable en canoë ou kayak, du moins hors tunnel. Si un jour le canal est rouvert aux bateaux, il offrira à ceux-ci un parcours touristique plutôt exceptionnel : de La Rochelle jusqu’à Niort, cités chargées d’histoire au riche patrimoine, en passant par Marans et l’univers enchanteur de la Venise Verte, c’est un programme d’une semaine de croisière très attirant qu’il ouvrira. À la Rochelle, il n’y a pas que la mer…
ChB

 

1. Celle-ci n’est pas à proprement parler une écluse à sas, mais un ouvrage de garde sur le croisement à niveau du canal du Curé. (Retour au texte)

2. Nous en recommandons la visite. (Retour au texte)

3. En comptant l’écluse des Enfreneaux qui sera mise hors-circuit par le canal maritime du Brault. (Retour au texte)

4. On peut comparer avec le canal de la Bruche, en Alsace, de longueur semblable et comportant 11 écluses, que Vauban construisit en 2 ans de 1681 à 1683… Les circonstances et l’époque sont très différentes. (Retour au texte)

 

L’écluse de Rompsay actuellement. Elle présente la particularité d’avoir été portée au gabarit Freycinet, ce qui lui vaut de présenter sur sa tête aval, 3 paires d’enclaves de portes. Elle était équipée d’une double paire de portes (èbe et flot). La porte d’èbe a été transférée de l’amont à l’aval de la porte de flot, de façon à gagner les quelques mètres nécessaires.

 

Liens :

Le canal de Rompsay

Relier La Rochelle à Niort

Le canal de Marans à la Rochelle, histoire et projets d'avenir

 
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