Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 14:27 |
|
|
Plusieurs MDJ ont déjà fait allusion au mot latin putus, petit garçon : voir : MDJ putain (français), MDJ poutine (français) sens 2. Mais il peut être utile maintenant de l'étudier à part, et de s'intéresser aux autres mots qui en sont issus dans les langues romanes.
Le mot putus, petit garçon, est un hapax dans la littérature latine : il est une variante de pusus (féminin pusa) lui-même très rare, de même qu’il existe pusio (même sens, et attesté chez Cicéron), tous synonymes du terme habituel « puer », enfant.
La seule et unique occurrence de « putus » se trouve dans le Catalepton Virgilien (c'est un ensemble de poèmes que la tradition a attribués, souvent à tort, parfois peut-être à raison, à Virgile) : d’ailleurs, il semblerait même que certains manuscrits donnent « potus » (cf dictionnaire de Forcellini). Du coup, l’intérêt linguistique de ce mot dépend du sens que l’on donne à ce passage. Or, dans cette occurrence, le mot putus n’apparaît que pour être corrigé ensuite :
Citation: | Si licet hoc sine fraude, Vari dulcissime, dicam:
Dispeream, nisi me perdidit iste putus.
Sin autem praecepta vetant me dicere, sane
non dicam, sed: Me perdidit iste puer.
Trad litt:
Si je puis le faire sans faute, très cher Varius, je voudrais dire :
« Que je meure, si cet enfant ne m’a pas fait perdre la tête ».
Mais, si les règles m’interdisent de le dire, eh bien
je ne dirai pas cela, mais cet enfant m’a fait perdre la tête. |
Pour éviter toute interprétation a priori, je traduis de la même manière "putus" et "puer" par "enfant", mais cf plus bas...
On voit qu’après avoir dit que ce « putus » lui fait perdre la tête, le poète se reprend au nom des praecepta et remarque ensuite que décidément ce « puer » lui fait perdre la tête. Problèmes : que sont ces « praecepta » et pourquoi interdisent-ils au poète de dire ce qu’il veut ? A mon avis, trois hypothèses, qui évidemment, ne s’excluent pas l’une l’autre :
- Ce sont des règles de bonne tenue : « la bienséance me l’interdit, mais je ne peux pas m’empêcher de le dire quand même : je suis raide-dingue de ce gosse ! ». Il ne s’agit pas de préceptes qui interdiraient la pédérastie (bien attestée dans la littérature augustéenne), mais plutôt de principes de pudeur qui font que l’on cache ses élans de passion (on pourrait faire des parallèles avec des odes d’Horace ou des élégies de Properce).
Cette hypothèse, en soi, n’explique pas le passage de « putus » à « puer » : celui-ci pourrait s’expliquer par la seconde hypothèse :
- les praecepta sont également des règles de convenance langagière : on pourrait imaginer que le mot « putus » appartienne au registre familier, ce qui expliquerait qu’il ne soit attesté nulle part ailleurs dans la littérature latine. C’est, à mon avis, une hypothèse tout à fait plausible. Certains l’ont même poussée plus loin : j’ai lu dans ce vieux mémoire du suédois Ivan Pauli (1919) l’hypothèse selon laquelle ce serait une forme dialectale : Virgile étant originaire de Mantoue (selon ce que dit la tradition et d'ailleurs, faut-il encore qu'il soit bien l'auteur de cette épigramme), il aurait employé ici un terme de chez lui, mais que les règles de l’urbanitas l’obligerait à corriger. L’hypothèse semble gratuite, mais après tout, dans la même veine, on sait que Tite-Live, originaire de Padoue, s’était vu reprocher des emplois dialectaux (ce qu’on appelait sa patavinitas). Je reviendrais sur cette hypothèse plus loin.
- troisième hypothèse, qui suffit en général à la plupart des commentateurs, mais que j’aurais tendance à considérer comme secondaire : les praecepta sont des règles de prosodie. Normalement, on devrait avoir pūtus avec un [u] long, comme pūsus ou pūsio, petit garçon, pūsa, petite fille, or d’après la versification, le [u] doit être ici abrégé, pour rentrer dans le pentamètre. Là encore, l’interprétation peut-être combinée aux précédentes : emporté par son élan passionné, le poète se laisse aller et emploie le premier mot qui lui vient à la bouche, mot qui, non seulement, serait familier, mais contreviendrait à la métrique, on peut même imaginer que la forme brève pŭtus est telle dans un dialecte mantouan.
Bref, pour résumer, putus semble bien ne pas avoir sa place dans le latin classique… J’ai bien l’impression que c’est un terme familier, du latin oral : retrouver sa trace dans les langues romanes (au masculin ou au féminin, puta) me semble, du même coup, particulièrement intéressant. Le livre d’Ivan Pauli dont j’ai parlé plus haut cite plusieurs emplois avec des sens légèrement dans différents dialectes italiens (vénitien, lombard, émilien, toscan). Je serais curieux que les italianophones de Babel nous en parlent.
Dernière édition par Horatius le Friday 26 Aug 11, 17:50; édité 2 fois |
|
|
|
|
MiccaSoffiu
Inscrit le: 24 Jun 2008 Messages: 463 Lieu: Capicursinu-Sophia
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 16:21 |
|
|
putà, potà (du lat. potare INFCOR) = tailler, émonder, élaguer
putatore, potatore (du latin putatore(m)) = celui qui taille, émonde, élague, (le tout dans les règles de l’art).
Pour exprimer un lavage de cerveau j’utiliserai bien volontiers de façon imagée l’expression : un cerbellu/capu putatu = un cerveau nettoyé, diminué, amputé, façonné. |
|
|
|
|
Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 16:53 |
|
|
Attention, MiccaSoffiu : votre message me fait m'apercevoir que j'ai oublié de faire le lien avec le fil "il y a putus et putus" :
On traite ici de putus, petit garçon ; les mots que vous citez sont à rapprocher de l'autre putus, pur, de même famille que putare, émonder. En latin, ce sont deux homonymes clairement distincts, et rien ne permet a priori de les rapprocher. |
|
|
|
|
u pistùn
Inscrit le: 15 Aug 2011 Messages: 301 Lieu: Liguria
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 16:57 |
|
|
Pour expliquer les formes italiennes dialectales putelo, put, le français putain, poutina du provençal et du ligurien, il faut partir d'une forme PUTTU(S) plus que de PUTU(S). Le -T- > -d- dans le provençal et les dialectes de l'Italie du nord et > 0 dans le ligurien. |
|
|
|
|
Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 17:02 |
|
|
Très juste : selon Ernout-Meillet, il faut partir d'un pūttus, avec géminée expressive et [ū] correspondant à pūsus.
C'est amusant : c'est ce que j'étais en train d'écrire dans un autre fil !! |
|
|
|
|
u pistùn
Inscrit le: 15 Aug 2011 Messages: 301 Lieu: Liguria
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 17:28 |
|
|
Ce n'est pas si simple. Si on part de pūttus, avec -ū- il faut éxpliquer le poutina du provençal et du ligurien. Le résultat attendu serait -u- et pas -ou-. |
|
|
|
|
Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 17:42 |
|
|
Pourriez-vous nous détailler les évolutions phonétiques dans ces langues / dialectes, en ce qui concerne ces phonèmes ? Je les ignore et je me perds un peu dans mon manuel de linguistique romane ! |
|
|
|
|
u pistùn
Inscrit le: 15 Aug 2011 Messages: 301 Lieu: Liguria
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 18:26 |
|
|
La voyelle latine ū donne, en provençal et ligurien (et en français aussi) le son ü (franç. u de mur). Si on part de pūttus, en prov. et lig. le rèsultat devrait être putina (ü) et pas poutina (ou). |
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3865 Lieu: Paris
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 19:56 |
|
|
Je lis dans Picoche que le prépuce pourrait se rattacher à cette famille. Praeputium, de prae, en avant, et -put- probablement apparenté à puttus, pusus et exprimant l'idée de petitesse. Le TLF ne se prononce pas. Le DHLF dit que l'étymologie n'est pas claire mais évoque un composé hybride dont le second élément serait du grec posthion, membre viril, déformé en -putium par étymologie populaire par rapprochement avec puttus (on y revient !). Le Online Etymology Dictionary écrit : "possibly from præ- "before" + *putos "penis."" qu'il a dû piquer dans le Chambers, qui complète : "from Indo-European *pu-t-/pū-t-, extended from the root *pu-/pū- to swell (NdT : enfler) (Pok.847)." |
|
|
|
|
u pistùn
Inscrit le: 15 Aug 2011 Messages: 301 Lieu: Liguria
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 20:11 |
|
|
Et le mot anglais pussy "petite chatte" peut-il être un autre composant de cette joyeuse famille? |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 20:17 |
|
|
Embatérienne a écrit: | Je lis dans Picoche que le prépuce pourrait se rattacher à cette famille. Praeputium, de prae, en avant, et -put- probablement apparenté à puttus, pusus et exprimant l'idée de petitesse. Le TLF ne se prononce pas. Le DHLF dit que l'étymologie n'est pas claire mais évoque un composé hybride dont le second élément serait du grec posthion, membre viril, déformé en -putium par étymologie populaire par rapprochement avec puttus |
J'avais écarté praeputium des "pistes" possibles à partir de pullus sur la base de ce que disent Ernout et Meillet du deuxième élément -putium : "élément obscur".
Chantraine, qui traite posthion dans πέος [peos]), ne pipe pas mot de ces rapprochements...
Dernière édition par Papou JC le Saturday 27 Aug 11, 8:25; édité 3 fois |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 20:25 |
|
|
u pistùn a écrit: | Et le mot anglais pussy "petite chatte" peut-il être un autre composant de cette joyeuse famille? |
Rien à voir, si l'on en croit Etymonline. C'est un diminutif de puss, Citation: | "cat (= chat)," 1520s, but probably much older than the record, perhaps imitative of the hissing sound commonly used to get a cat's attention. A conventional name for a cat in Germanic languages and as far off as Afghanistan; it is the root of the principal word for "cat" in Romanian (pisica) and secondary words in Lithuanian (puz), Low German (puus), Swedish dialect katte-pus, etc. |
|
|
|
|
|
embatérienne Animateur
Inscrit le: 11 Mar 2011 Messages: 3865 Lieu: Paris
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 20:47 |
|
|
Papou JC a écrit: | J'avais écarté praeputium des "pistes" possibles à partir de pullus sur la base de ce que disent Ernout et Meillet du deuxième élément -putium : "élément obscur". |
mais ils ajoutent quand même : « Cf. peut-être *pūttus sous putus. »
Citation: | Chantraine (s. πέος [peos]) ne pipe pas mot de ces rapprochements... |
Au passage, je préfère "il ne pipe mot" à "il ne pipe pas mot", mais je vois que ça se dit aussi. |
|
|
|
|
Papou JC
Inscrit le: 01 Nov 2008 Messages: 11169 Lieu: Meaux (F)
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 21:05 |
|
|
Citation: | mais ils ajoutent quand même : « Cf. peut-être *pūttus sous putus. » |
Certes, mais ce "peut-être" ajouté au silence de Chantraine, ça n'incite guère à parler ici à nouveau du petit appendice, vu l'espace qu'on lui a récemment accordé ailleurs ! |
|
|
|
|
Horatius Animateur
Inscrit le: 11 Apr 2008 Messages: 695
|
écrit le Friday 26 Aug 11, 21:42 |
|
|
Dans le livre d'Ivan Pauli, cité plus haut, on trouve un certain nombre de références à des termes de dialectes italiens, dont j'aurais bien aimé entendre parler.
- Dans des textes vénitiens du XIVe siècle, on a putto, au sens de "petit enfant"
- Dans des textes lombards de même époque, on a put avec le même sens.
(à titre anecdotique, je note qu'Ivan Pauli en tire argument pour dire qu'il s'agit d'un mot de cette Italie du Nord d'où venait également Virgile : cela paraît totalement gratuit...)
Toujours selon Pauli, cette signification a disparu presque partout. "Aujourd'hui", disait Pauli en 1919, en vénitien, lombard, émilien, ce mot signifie jeune homme, et plus souvent célibataire. Le toscan a conservé à "putto" le sens de "jeune enfant".
Mais depuis la Renaissance, ce mot est employé de préférence quand les enfants en question, sont peints ou sculptés (voir à ce propos la jolie photo que nous propose Outis dans le fil Poutine)...
Y-a-t-il des gens pour confirmer tout cela ? |
|
|
|
|
|