Dictionnaire étymologique basque


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Dictionnaire étymologique basque-français
Dictionnaire étymologique basque par Michel Morvan,
linguiste membre de l’UMR 5478 du CNRS/IKER.


Remerciements

Je tiens à remercier tout spécialement mon ancien directeur de thèse le Pr.Jean-Baptiste Orpustan de l’Université de Bordeaux qui a toujours soutenu mon projet avec constance et m’a été d’une aide inestimable grâce à sa très profonde connaissance de la langue basque et à son infinie patience dans nos échanges pendant près de quarante ans. Je remercie aussi tous ceux qui m’ont apporté leur soutien comme les regrettés Jean Haritschelhar, ancien président de l’Académie Basque, Henrike Knörr, l’éminent Jacques Allières qui faisait partie de mon jury et était très favorable à mes recheches et Michel Grosclaude notamment, spécialiste du gascon. Merci également à Claude Boisson de Lyon, à Jean-Pierre Levet de l’Université de Limoges, à Geneviève N’Diaye-Correar, à Vitore Sukaj pour ses informations sur l’albanais, à George Starostin de l’Université de Moscou, à Michaël Witzel de l’Université de Harvard, à Martine Robbeets de l’Université de Leyde, spécialiste du japonais et de l’altaïque, à Roslyn M. Frank de l’Université d’Iowa, à Eduardo Blasco Ferrer de l’Université de Cagliari qui travaillait sur le substrat pré-sarde, à Antonio Faria et Luis Silgo Gauche qui travaillent sur l’ibère, Juliette Blevins, Hector Iglesias, Juan Collado et bien d’autres encore qu’il me serait trop long de citer ici.




Introduction

La langue basque, nommée par les Basques eux-mêmes (endonyme) euskara, dérivé assez probable de la base *eusc- < *ausc-, du nom de la grande tribu aquitaine des Ausci qui a donné son nom à la ville d’Auch dans le département du Gers, anciennement nommée Elimberrum, du basco-aquitain ili "ville" et berri "neuve", est la seule langue vivante non-indo-européenne de l’Europe occidentale (il y en a cependant d’autres en Europe, au nord comme le lapon (same), le finnois et l’estonien, à l’est comme le hongrois, et quelques autres langues finno-ougriennes). Il s’agit d’une langue pré-indo-européenne isolée, antérieure à l’arrivée des Indo-Européens. Elle a résisté quasi miraculeusement aux invasions romaines, sauvée à temps, contrairement à l’ibère plus exposé à l’est de la Péninsule et près de la Méditerranée, par la chute de l’Empire Romain d’Occident alors que les parties nord et orientale de l’Aquitaine, devenue gasconne (Vascons = Gascons), étaient déjà romanisées. Il semblerait aussi que les Basques aient moins subi la domination romaine que d’autres peuples, bénéficiant peut-être d’une relative bienveillance des Romains à leur égard. Enfin il semble que les forts traits socio-culturels spécifiques aux Basques et leur forte tradition orale aient contribué au maintien de la langue. Le repli dans les montagnes et l’habitat dispersé ont également joué leur rôle. Ce n’est donc pas un seul facteur qui a permis à la langue basque de se maintenir face au superstrat romain, mais un ensemble de plusieurs facteurs.



Les origines de la langue basque

Cette langue semble plonger ses racines profondes dans la nuit des temps préhistoriques. Beaucoup trop de linguistes la considèrent encore comme complètement isolée, sans aucune parenté avec d’autres langues non-indo-européennes dans le monde, mais on sent bien qu’un malaise subsiste au sein de la communauté des linguistes qui n’a cessé d’osciller entre parenté et non-parenté. Cette théorie de l’isolat au sens strict est probablement fausse et obsolète, un peu trop simpliste. Rien ne permet plus vraiment de l’étayer. C’est une impasse scientifique, avec de plus un danger d’ossification dogmatique. Il faut essayer d’avoir un regard un peu plus ouvert et affûté. Une révison drastique et un changement de paradigme semblent inévitables. De nombreux faits ont ébranlé ma croyance dans la prétendue énigme linguistique basque. Le basque n’est pas né ex nihilo par auto-création, cela reviendrait à dire que le basque vient...du basque (!) (et d’où viendraient tous les mots autochtones et surtout leurs racines?). La reconstruction interne est nécessaire mais insuffisante. Des investigations plus poussées semblent montrer des liens avec certaines autres vieilles langues non-indo-européennes ou pré-indo-européennes comme les langues du Caucase, les langues sibériennes ou les langues dravidiennes de l’Inde. Le fait qu’une langue soit isolée ne signifie pas qu’elle n’a pas de liens, même ténus, avec d’autres langues du monde même si on ne peut pas la classer dans une famille précise et bien délimitée. Partir à la recherche d’éventuels parents du basque, même lointains, n’est donc pas une équipée absurde ni un défi prométhéen. Au demeurant l’exemple de la récente confirmation par Edward Vajda (Fairbanks 2010) des liens linguistiques entre le Na-Dene amérindien et les langues iénisséiennes (kèt, etc.) démontre que l’on peut remonter très loin dans le passé des langues et que les comparaisons, même géographiquement lointaines, sont parfaitement justifiées. La bonne méthode est celle qui permet de trouver. L’erreur a toujours consisté à vouloir trouver une origine précise et localisée à la langue basque comme vient encore de le montrer Jaime Martin qui veut que le basque ait pour origine le dogon du Mali. Quant aux autres "bascologues" amateurs qui veulent faire du basque une langue indo-européenne ou proto-indo-européenne (G. Forni, A. Etchamendy et quelques autres, dont malheureusement la bonne phonologue J.Blevins qui semble parfois succomber hélas à cette nouvelle mode, on reste abasourdi par les rapprochements opérés qui relèvent de la pseudo-linguistique de pacotille: khe "fumée" de *mewgh alors que ce terme basque expressif vient de la nuit des temps préhistoriques proto-eurasiens, aiuta "lavement" qui viendrait du védique ayuh "énergie vitale" alors qu’il s’agit d’un banal emprunt à l’espagnol ayuda "aide" (gascon/béarnais ajùt), eroan "porter" comparé au grec phero, à l’indo-européen *bher "id." et même à bereter "prêtre, enfant de choeur" (sic) alors qu’il s’agit du factitif ou causatif de joan "aller", zingar "porc" analysé zink "cri" et gar "faire, produire, créer" qui n’existe pas en basque et alors que zingar/xingar est le lard et non l’animal, et même, toute honte bue, gorputz "corps" analysé de façon absurde en gor "chair" (?) et putz "souffle" (sic) pour le banal emprunt au latin corpus (avec sonorisation régulière de la consonne initiale) comme si c’était le latin qui avait emprunté le mot au basque (!). Quand les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limites. Nous sommes hélas devant un abîme d’ignorance, assez proche parfois d’un certain obscurantisme chez certains, avec narratif inversé et en plus du name dropping, notamment dans le cas d’Etchamendy. Il ne suffit pas de "faire scientifique" pour avoir raison. La forme ne doit pas devenir plus importante que le fond, défaut trop souvent constaté de nos jours.

A l’aune des dernières recherches, c’est dans une démarche holistique et dans le cadre beaucoup plus large de l’Eurasie pré-indo-européenne tout entière qu’il convient de chercher des correspondances lexicales. Bien entendu la profondeur temporelle est telle que ces termes communs au basque et à d’autres langues très anciennes peuvent être considérés comme des mots fossiles. Il faut parler ici de paléolinguistique comme on parle de paléontologie ou de paléoanthropologie.

Plus près géographiquement le basque semble avoir laissé des traces assez nettes dans la langue et la toponymie pré-romane de l’Occitanie et des régions reculées et montagneuses de la Sardaigne (travaux de E. Blasco Ferrer et moi-même) comme la Barbagia et la région de Nuoro ou de l’Ogliastra où la résistance à la romanisation a été la plus forte. Au demeurant la parenté entre les Basques et les Sardes (ainsi sans doute que les premiers Corses) semble d’ailleurs confirmée par les travaux des généticiens des populations (haplogroupes et distances génétiques calculées à l’aide de la méthode du neighbor joining, cf. Giovannoni et al., Antropo, 11, 2006). Cette parenté englobe bien sûr une bonne partie de l’Occitanie pré-romane et pré-indo-européenne (substrats) comme l’avaient fort justement pressenti certains chercheurs (V. Bertoldi, J. Hubschmid, A. Nouvel par exemple). Or il apparaît que la toponymie confirme ce fait. Il y a en Occitanie, comme en Catalogne, des noms comme Val d’Aran "vallée" notamment en Provence (Var, Bouches-du-Rhône), les fameux oronymes Cuc, Tuc, Suc, Tschugg(e) (ce dernier en Suisse), (devenu juk en basque par palatalisation) que l’on retrouve de façon étonnament similaires dans le substrat des Balkans (cf. albanais kok, kujk "tête, colline", sukë "colline", hongrois csúcs "id.".) et même au-delà (dravidien kukk "tête", mongol gög- "hauteur", vieux-coréen kokai "id.", japonais kuki "id.", aïnou t’uk "petite montagne"). On a donc affaire à une vieille base proto-eurasienne.


Il convient de bien comprendre qu’il y a à la fois des parentés proches (le basque forme probablement une sorte de "famille" avec le substrat pré-latin/pré-indo-européen, cf. par ex. albanais derr "porc" et basque zerr-, albanais pordhë "pet" et basque ip(h)urdi "derrière, cul", le paléosarde et le paléocorse et peut-être l’ibère) et des parentés plus éloignées, plus diffuses, qui expliquent que l’on puisse trouver exactement les mêmes termes préhistoriques résiduels répartis sur plusieurs familles de langues comme c’est le cas par exemple du basque guti "peu, petit" que l’on retrouve en dravidien (guti, kuti "petit"), en toungouse (nguti "petit") et même en austronésien des Philippines (waray guti-ay "petit") ou dans les langues amérindiennes (*k’ut’i). Lorsqu’on est en présence d’une telle série, il ne peut en aucun cas s’agir de coïncidences fortuites et cela prouve que ce type de comparaisons éloignées peut être tout à fait opérationnel. En matière de comparatisme linguistique il existe bien entendu des coïncidences fortuites, tous les comparatistes le savent, cela fait partie intégrante des aléas du comparatisme, mais "pas à tous les coups!". C’est pourquoi il ne sert à rien de répéter indéfiniment comme une vieille antienne l’exemple de l’anglais et de l’iranien bad qui signifient tous les deux "mauvais" mais ne sont pas apparentés. Il y a une marge importante entre les excès des "traditionalistes" qui risquent d’attendre mille ans ou de ne jamais rien trouver et ceux de certains omnicomparatistes "long-range" américains comme J.D. Bengtson qui vont parfois trop loin et de plus ont une connaissance bien trop superficielle du basque. Paradoxalement on pourrait même se poser la question de savoir si certains termes fossiles ne sont pas encore plus anciens. J.D. Bengtson nie par exemple bien à tort l’existence du basque uko "avant-bras" dans le composé ukhondo "coude" qu’il explique faussement par une étrange et impossible analyse proto-basque *u-kondo avec un préfixe purement imaginaire u- sous prétexte d’un rapprochement avec le caucasien *kwondo "coude" (alors que (h)ondo "base" est un emprunt au latin fundum!). L’existence du basque ukho "avant-bras" est absolument sûre (cf. ukhabil "poing" composé de ukho et bil "forme arrondie", ukorde "manche" de uko et orde "substitut"). R.L Trask (Mother Tongue, 1, 1995) et moi-même (Fontes Linguae Vasconum, 1997) avions mis en garde contre cette erreur. Plus étonnant peut-être encore la langue est-africaine hadza (branche séparée isolée mais parfois rattachée à la famille khoisan) possède le terme ukhwa "main, bras" et une base *uk-, huk- "prendre" existe aussi en Asie (aïnou, limpu). On notera aussi avec intérêt qu’en turc existe un terme itche, etche pour "intérieur, tanière, demeure, maison". Cette répartition des bases ou racines du basque que l’on peut retrouver dans plusieurs familles ou superfamilles de langues (on dit aussi macrofamilles ou phyla) pourrait bien au demeurant expliquer également la raison pour laquelle il a résisté si longtemps aux investigations des chercheurs, dont l’érudition n’est évidemment pas en cause, qui ne parvenaient pas à le "classer" selon les critères habituels dans une famille précise et bien délimitée. Des critères trop étroits, d’où la théorie ou le dogme de l’isolat absolu qui en font précidément une langue "inclassable" au sens des familles traditionnelles. Bien entendu il va de soi que plus on s’éloigne du Pays basque et plus les parentés apparaissent diffuses et diluées, ce qui est logique, mais de vieux termes de base ou fossiles se sont maintenus: guti comme on l’a vu plus haut mais aussi des mots comme le basque bizar, mitxar "barbe" que l’on retrouve sans doute en caucasien avec bisal "id." et en dravidien avec misai, misal "id.", les mots basques beh-i "vache" et beh-or "jument" (avec deux suffixes nominaux distincts) viennent du proto-basque *beh- "animal(domestique) femelle" qui correspond au bouroushaski behe "animal femelle", le basque khe "fumée" et le caucasien du nord qhe "id." qui désigne aussi la toux provoquée par la fumée, le hokan chimariko amérindien de Californie qhe "fumée" (Jany, 2009). Ce terme préhistorique remonte à la nuit des temps. Il est passé d’Eurasie en Amérique pré-colombienne. Le fait que l’on ne trouve que quelques correspondances avec le basque dans chacune des familles étudiées est tout à fait normal, cela prouve précisément la très grande ancienneté du basque. C’est aussi la raison pour laquelle on n’a pas su lui trouver une parenté précise (hormis peut-être l’ibère voisin ou le pré-occitan/pré-roman mais cela ne fait en réalité que repousser le problème) et explique pourquoi une méthode comme la méthode lexico-statistique de Morris Swadesh s’applique très mal au basque (sur ce point au moins je suis d’accord avec J.A. Lakarra). Cette méthode ne permet pas de trouver par exemple la parenté probable entre le basque alu, allu "vagin, vulve, chose énorme" et l’aymara allu "pénis" ou l’algonquin os,osh "père, beau-père, oncle" et le basque os dans osaba "oncle"(cf. hongrois ös-apa "grand-père"). Encore une fois il faut bien comprendre que vu son ancienneté le basque est apparenté à plusieurs familles linguistiques à la fois, même si cela peut paraître étonnant au regard du comparatisme traditionnel. Le basque vient du proto-eurasien et même des comparaisons très lointaines avec les langues amérindiennes peuvent se justifier étant donné l’origine proto-eurasienne de ces dernières (cf. par ex. proto-mongol pon "année, saison" et algonquin pon "id.", ouralien *kala "poisson" et amérindien *kal "id.", ouralo-altaïque *kele > mongol xele, hele "langue" et basque ele) "id.", etc.). La paléolinguistique montre que l’on peut remonter bien plus haut dans le temps que ce que l’on pensait jusqu’à présent. De plus elle apporte la preuve que de vieux mots basiques communs (sauf les emprunts évidemment) sont parfois plus anciens que les structures grammaticales propres à chaque langue ou famille de langues qui se sont développées progressivement. S’appuyer uniquement sur ces structures pour la comparaison inter-familles est une autre erreur.

Actuellement, hormis le cas en attente de l’ibère voisin, langue morte dont on ne comprend encore seulement que quelques bribes malgré le déchiffrement de son écriture par Gomez Moreno et parce qu’il n’y a malheureusement pas de long bilingue (l’ibère n’a pas sa pierre de Rosette, mais des progrès intéressants sont en cours), la langue la plus proche du basque ou du basco-aquitain est probablement le pré-occitan ou pré-roman et la langue paléosarde pré-romane: sarde ospile "lieu frais" (basque (h)ozpil "id."), arrotzeri "vagabond"?(basque arrotz "étranger"), village d’Aritzo (basque aritz "chêne"), Funtana gorru "source rouge"? (basque gorri "rouge"), arru "pierre" en oronymie (basque arri "id.", cf. Arro en Corse), Bacu Anuntza "ravin des chèvres" en Sardaigne près de Seulo (proto-basque *anuntz donne le basque moderne ahuntz "chèvre"), nombreux toponymes sardes commençant par Aran- (basque aran "vallée"), etc. Dans le nord de la Sardaigne et le sud de la Corse on trouve également le même type de substrat, par exemple en dialecte corse gallurais où zerru signifie "cochon, porc" (basque zerri "id", peut-être apparenté aussi à l’albanais derr "id.". Le cas du phytonyme basque agin "if" est frappant à cet égard (sarde agini > eni, albanais aignje).

Des formes indubitablement basques sont également présentes en Provence dans le sud-est de la France: l’étude de la toponymie y révèle au moins deux Val d’Aran (tautologies par démotivation du terme le plus ancien, ici le basque aran "vallée" et par extension "cours d’eau de vallée" ou l’inverse) identiques au Val d’Aran du nord-ouest de la Catalogne. Un vaste substrat est donc représenté dans la toponymie. Une forme telle que le pré-roman occitan *kuk, kok, tsuk, suk "hauteur" est observable dans les Alpes suisses sous la forme palatalisée tschugg (Mont Tschugge) et dans tous les Balkans (cf. par exemple albanais kok "tête", kojk "colline", sukë, çuk "colline, sommet", hongrois csúcs "id.") et même jusqu’en dravidien (kukk) et au-delà (mongol gög-, vieux-coréen kokai, japonais kuki "hauteur"). La forme basque correspondante est *juk- avec affaiblissement de la consonne initiale (cf. le toponyme basque Juxue, in J.B.Orpustan, Nouvelle Toponymie Basque, Bordeaux, 2006), phénomène d’évolution phonétique bien connu par ailleurs comme par ex. avec la racine pré-indo-européenne *kar/*gar "pierre, roche" qui a donné le français dialectal jar "caillou de rivière" par affaiblissement de la consonne initiale (lénition). De même une base comme **gVb- (V = voyelle), celle des "gaves" pyrénéens, correspond au caucasien xab "ravin", au dravidien kavi "vallée encaissée", au japonais gawa/kawa "rivière" (du proto-japonais *kVp), la signification première étant ici "forme concave, creuse" (elle explique même le nom de la grande cuvette du désert de Gobi). La même racine apparaît dans le basque habuin "écume" qui a comme parents l’ouralien hongrois hab "id.", l’altaïque toungouse xafun "id.", le yénisséien hapur "id.", l’eskimo (inuit) qapuq) "id.". Il est regrettable que certains de mes collègues chercheurs n’aient pas su remarquer ou n’aient pas voulu remarquer ces parentés et qu’existent des ouvrages comme le dictionnaire étymologique (inachevé) de R. L. Trask qui nient toute parenté du basque avec d’autres langues, ce qui constitue une grave erreur et l’oblige à nous infliger malheureusement un festival de gloses OUO "d’origine inconnue"(Of Unknown Origin). Il n’y a pas de secret indomptable, de nuit opaque qui nous ferme à jamais la mémoire de la langue basque. La théorie de l’isolat total est plus une théorie de circonstance qu’autre chose. On l’a énoncée faute de mieux (et parfois hélas avec certaines arrières-pensées bien peu scientifiques) et il est bien imprudent d’en faire un dogme absolu. Les faits s’imposeront tôt ou tard. Encore une fois ce n’est pas parce que l’on ne peut pas classer le basque isolé dans une famille de langues traditionnelle (et sûrement pas la famille indo-européenne!) qu’il n’a pas de liens avec d’autres langues du monde.

En la matière (Boyd & Boyd, Vallois, Mourant, Ruffié, Bernard, Moulinier, Levine) on a beaucoup parlé du groupe sanguin des Basques par exemple, à fort pourcentage de sang du groupe O (plus de 50%). Mais cela n’indique en réalité que l’isolement ou la dérive génétique (genetic drift) ou encore ce qu’on nomme "effet du fondateur". D’autres populations que les Basques ont connu le même phénomène: Irlandais de l’ouest (74 à 76% de O d’après D. Tills et A.E. Mourant), Islandais, Aborigènes d’Australie (76% de groupe O) ou Amérindiens (98% de groupe O) selon le généticien L. L. Cavalli-Sforza: comme on le voit chez ces derniers Amérindiens les groupes sanguins A et B ont même quasiment entièrement disparu, notamment chez les Amérindiens non métissés, après le goulot d’étranglement (bottleneck) du passage de l’Asie vers l’Amérique et les longs millénaires du peuplement de ce dernier continent qui d’après les spécialistes semblent s’être produit en trois vagues successives. L’élévation du groupe sanguin O est bien un effet de l’isolement, mais rien de plus, et ne doit plus être utilisée comme argument pour prouver quoi que ce soit en matière d’origine des Basques puisque bien d’autres populations partagent cette caractéristique.




Reconstruction interne

La reconstruction interne est également importante. Elle permet de restituer des formes proto-basques. Luis Michelena y a apporté une très importante contribution. En observant les emprunts au latin, on s’est aperçu par exemple que le basque ahate "canard" venait du latin anatem "id." ou ohore "honneur" du latin honorem. Par conséquent le -n- intervocalique s’est affaibli et a été remplacé par -h- aspiré (anate > anhate > ahate). A partir de là on a pu en déduire qu’il devait en être de même pour des mots purements basques. Il est très probable par exemple que le terme basque ahuntz "chèvre" soit issu du proto-basque *anuntz. Il existe d’ailleurs des toponymes basques Anuncibay et Anunceta ainsi qu’un toponyme sarde Bacu Anuntza "ravin des chèvres" signalé par E. Blasco Ferrer. Le problème est de savoir où il faut s’arrêter dans la reconstruction interne. Le risque est d’extrapoler à partir d’une constatation correcte en soi. La règle de la chute du -n- intervocalique appelée parfois "loi de Michelena" n’est sans doute pas absolue. Il y a peu de "lois phonétiques" absolues en basque. Et si en plus, à partir de cette règle, certes valable, on extrapole de façon hasardeuse et systématique des reconstructions comme celles de J. A. Lakarra du type ihintz "jonchaie" < *inintz (acceptable) < *ninintz avec redoublement (très douteux) ou ohol "planche" < *onol < *nonol (sic), on obtient des formes étranges qui font du proto-basque une langue quelque peu infantile proche de la lallation ou du babillage, surtout si l’on applique le redoublement (qui existe certes comme pour gogor "dur" qui est clairement attesté en même temps que gor "dur, sourd" dans le lexique basque) à d’autres termes en dehors même de la règle du -n- intervocalique: adar "corne" < *dadar, odol "sang" <*dodol, etc. Prudence! Attention au biais méthodologique (une racine *dol "couler" est bien suffisante). Ces solutions paraissent bien onéreuses. Et je passe sur ogi "blé, pain" que Lakarra fait venir de hor "chien" (sic) ou esne "lait" de behi-seni-edabe "boisson du petit de la vache" (sic) en réalité probablement apparenté au caucasien zen et au mongol üsn "lait", izar "étoile" d’un absurde Siriu-za (de l’étoile Sirius (sic)). Il ne suffit pas de paraître "scientifique" (ou plutôt pseudo-scientifique en l’occurrence) et offrir des restitutions qui sont en apparence seulement attirantes ou satisfaisantes pour l’esprit. En triturant plusieurs fois les mots par contorsions successives on peut obtenir tout ce que l’on veut. En refusant que le basque soit apparenté à d’autres langues et en le maintenant uniquement en situation de se regarder le nombril on risque d’arriver à des reconstructions extravagantes et des insuffisances scientifiques notoires. Le terme basque adar "corne" signifie aussi "arc, branche", ce qui fait dire à J.D. Bengtson qu’il y a plusieurs mots homonymes (et même homographes) adar en basque alors qu’il s’agit bien d’un seul et même mot! Or un terme addar "arc" existe en caucasien du nord et dar "branche" existe en munda (langue de l’Inde pré-indo-européenne a côté d’autres langues comme les langues dravidiennes. Voilà des pistes intéressantes à creuser. En revanche il est bien hasardeux et imprudent d’affirmer comme le fait J.A. Lakarra que arraultze "oeuf" n’a pas de rapport avec erron "pondre" (au contraire il en a bien un comme le prouve sa variante arrontze!) ou de proposer pour urde "porc" une forme romane turpe/*durpe devenue subitement *burde (sic), pour hagin "dent" un emprunt à une forme latine caninu (sic) alors que c’est une forme probablement apparentée au caucasien du nord-est xagin, xagna et au yénisséien *aG-, pour belar "herbe" le roman hierba (sic), pour aiher "versant, penchant" un emprunt au gascon cranhe "craindre" (sic), pour aulki "siège" un prototype *abedul-gi (sic), que ezkabia est un composé de hatz et scabia alors qu’il s’agit seulement du latin scabia avec prothèse vocalique /e-/ et je passe sur bien d’autres invraisemblances qui créent des monstres comme ibai "fleuve, rivière" qui viendrait de *hur-ban-i "eau coupée"(sic) alors qu’on a seulement bai dans la toponymie ancienne (Baigorri, Bayonne, etc.), ou arraultza "oeuf" de *e-da-ra-dul-tza (sic), ezker "gauche" de *hertz-gu(n)-ger (sic), etc. Ce sont là les limites de l’exercice. Ensuite cela devient totalement contre-productif. L. Michelena qui avait pourtant montré des voies très intéressantes pour le proto-basque doit se retourner dans sa tombe au vu de ces reconstructions excessives, voire carrément absurdes et caricaturales qui entachent la bascologie. J.A. Lakarra est donc plutôt malvenu de critiquer mes comparaisons du basque avec des langues non-indoeuropéennes, lointaines ou non. En fait l’anti-comparatisme aboutit à chercher à tout prix des reconstructions internes ou des emprunts, fussent-ils absurdes, pour ne pas donner prise aux comparaisons externes. Est-ce bien là une démarche scientifique? Je crains qu’il n’y ait là des connotations exogènes. Il arrive parfois et presque par hasard que l’analyse soit bonne comme pour eder "beau" qui dégage une racine *der bien que la voyelle initiale e- ne soit pas un préfixe comme le prétendent certains. Mais comme le reconstructeur J.A. Lakarra nie par ignorance toute parenté du basque, il ne voit pas que cette racine est la même que dans le vogoul eder, ater "beau, clair" et le hongrois der-ül "briller", le dravidien ter "id." et le japonais ter-asu "id". Une racine eurasienne absolument sûre par conséquent.



Enfin il est possible que le basque ait été parlé il y a fort longtemps dans une zone plus vaste en Europe peut-être à la faveur d’un recul glaciaire. C’est ce que pense le linguiste allemand Théo Vennemann. Il est exact qu’il y a des formes basques en dehors du Pays basque puisqu’on trouve comme on l’a vu des tautologies comme Val d’Aran (basque aran "vallée") dans le sud-est de la France (Bouches-du-Rhône, Var) et pas uniquement en Catalogne, fait curieusement peu ou pas signalé jusqu’ici. Mais Vennemann va parfois trop loin. Par exemple lorqu’il voit dans tous les toponymes français du type Evry, Ivry, Ebreuil, etc. et même dans la ville normande d’Evreux le terme basque ibar "vallée" alors que tout le monde sait que c’est un nom gaulois (tribu gauloise des Eburovices, et de plus le vieil Evreux situé non loin de là se nommait déjà Mediolanum, nom celte lui-aussi évidemment). Tous ces noms de la toponymie française sont formés sur le gaulois eburo "if". Mais sur le principe il n’a peut-être pas entièrement tort de remonter parfois aussi haut vers le nord. Dans le massif alpin bavarois Estergebirge semble répondre aux noms de lieux basques du type Ezterenzubi ("pont des gorges"), Ezteribar, ainsi qu’aux gorges de l’Esteron en Provence, d’une racine *est- "escarpement", etc. Il est donc possible que les noms germaniques en Ebr- ou Ibr- (Ebrach, Ibrach, etc.) soient en effet comme le prétend Vennemann des hydronymes excluant complètement une interprétation par l’allemand Eber "sanglier" bien qu’on puisse avoir parfois également des cas où il s’agit réellement de sangliers (notamment Eberbach) et une racine *ib- comme dans l’hydronyme Ybbs autrichien. La même chose vaudrait pour les nombreux Auerbach, Urbach qui ont été sans doute interprétés à tort par "ruisseau des aurochs" alors qu’il faut y voir probablement le préceltique (et par conséquent aussi le basque) ur "eau, cours d’eau ou marécage" (cf. allemand Au, Aue). Ce type existe aussi en France, notamment en Alsace: Urbeis, Orbey et ailleurs Orbais (Marne), voire peut-être en Normandie avec Orbec dont la finale est le scandinave bekr "ruisseau" équivalent du "Bach" allemand. Le nom même de l’Alsace (ou de la rivière Alz en Bavière) repose sur *altz "aulne, marécage" qui existe en basque (arbre des zones marécageuses).




L’origine des Basques

Il y a environ 30000 ans sont arrivés d’Asie les premiers Européens d’haplogroupe R (issu d’une plus ancienne mutation de P pour ce qui est du chromosome Y ) qui vinrent buter à l’ouest sur l’Océan Atlantique. Ils laissèrent derrière eux d’autres groupes et des isolats ethniques et linguistiques encore existants aujourd’hui (Sibérie, Caucase, Bouroushos, etc.). Un groupe de Pré-Basques (c’est-à-dire pas encore Basques, ceci est très important) d’haplogroupe R1b plus spécifique à l’Europe occidentale (avec un maximum de près de 80% au Pays basque et en Irlande) s’établira dans la zone refuge franco-cantabrique (ancienneté encore confirmée récemment en 2012 par une étude portant sur l’ADN mitochondrial de la lignée maternelle basque, cf. Behar et al.) où il se sédentarisera progressivement tout en étant bien protégé dans une contrée montagneuse d’accès relativement difficile. Là il se constitua en peuple basque proprement dit avec sa langue particulière dont certains éléments sont indubitablement hérités du long parcours qu’ils ont connu ou que leurs lointains ancêtres ont connu depuis des millénaires et dont on trouve encore des traces en Eurasie dans d’autres langues non-indo-européennes, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas subi de mélanges avec d’autres populations, notamment néolithiques (il a dû y avoir au demeurant plusieurs vagues de migrants) avec les premiers agriculteurs-fermiers qui étaient également non-indo-européens contrairement à ce que croyait l’archéologue Colin Renfrew et comme le montre clairement le vocabulaire agro-pastoral basque avec les noms des animaux. Ils vinrent se superposer au substrat préexistant. Même si l’on ne connaît pas avec précision les modalités exactes de ces mouvements de populations, le doute n’est plus permis, l’Asie est le point de départ. Trop d’éléments viennent confirmer que le basque n’est pas une langue aussi isolée qu’on l’a prétendu même si elle n’entre pas dans le cadre des familles de langues habituelles. La nouvelle approche classificatoire en superfamilles (ou macrofamilles) constitue la seule échelle qui convienne pour le basque. La tendance actuelle chez les chercheurs russes et américains consiste à classer le basque dans la superfamille ou macrofamille dite Sino-Caucasienne (ou Dene-Caucasienne) dont les langues seraient des spots résiduels ayant été submergés par la vague indo-européenne. Mais ce n’est pas aussi simple. En effet il apparaît que le basque contient aussi de nombreux termes appartenant à l’autre grande macrofamille, dite Nostratique ou Eurasiatique. Par exemple behi "vache" et behor "jument" du proto-basque *beh- "grand animal femelle" sont apparentés au bouroushaski behe "animal femelle"(Sino-Caucasien) tandis que idi "boeuf" est apparenté au Nostratique (cf. la reconstruction nostratique *iRi "grand ongulé" d’Aaron Dolgopolsky).





Le basque a quelques particularités phonétiques

- l’absence de /f/ à date ancienne (d’où l’évolution f > h du castillan et du gascon par effet de substrat: latin filiu "fils" > espagnol hijo, gascon hilh "id.".

- l’absence de mots commençant par le phonème /r/ qui impose dans les emprunts romans la présence d’une prothèse vocalique e- ou a- (comme en gascon et, curieusement, dans certaines zones de la Sardaigne ou de la Sicile ) avec redoublement rr: le latin rege "roi" fait en basque errege "id.". Cette règle stricte ne permet pas de faire venir le basque iratze "fougère" du gaulois ratis comme on peut le lire ici ou là, d’autant que -tze est un suffixe et que ira existe seul: forêt d’Irati.

- la difficulté de prononciation des groupes de consonnes (en particulier les "muta cum liquida") : le roman proba "preuve" donne en basque boroga avec dissimilation du groupe pr- par épenthèse vocalique (anaptyx) et sonorisation p > b, ou bien pluma "plume" devient luma avec perte du p- initial, florem "fleur" devient lore, etc.

- la sonorisation des consonnes initiales : latin pace "paix" devient en basque bake, latin corpus "corps" devient gorputz. Cela est dû à son caractère non-indoeuropéen et à son propre caractère basque. Lequel peut expliquer parfois des trajectoires d’évolution phonétique similaire comme par exemple basque apez "prêtre" et ouralien apez "prêtre, chamane". On notera qu’une autre langue non-indoeuropéenne d’Europe, le lapon ou same, sonorise également les initiales contrairement à son ancêtre ouralien et le turc a aussi cette tendance. Les Lapons constituent génétiquement un mélange de Caucasoïdes et de Mongoloïdes. On pense parfois que les Lapons (Sames) sont des Proto-Européens qui ont adopté une langue finnoise. Mais dans ce cas, quelle langue parlaient-ils auparavant? Les faits ne sont pas clairs, d’autant que certaines racines finnoises et basques sont identiques: vieil-estonien siug "serpent"/basque suge "id." par exemple, lapon/same nis, niso(n) "femme" au regard du basque giza, gizon < cison "homme", du proto-basque *kis- (cf. turc kis/giz "homme"). En Eurasien le marqueur k (ou t) s’applique aux mâles et le marqueur n (ou m) aux femelles, ce qu’on retrouve en basque: deuxième personne du singulier du-k "tu as" (mâle) versus du-n "tu as" (femelle).

- la présence en espagnol et en français (mais aussi dans certains dialectes ou autres langues romanes et notamment le sarde) d’une voyelle prothétique devant les groupes de consonnes du type sc-, sp-, st- typiquement indoeuropéens qui laisserait à penser que les populations autochtones pré-indoeuropéennes ne savaient pas prononcer ces groupes de consonnes (appelés parfois "clusters"): lat. scala > fr. escale, lat. spica > esp. espiga "épi", celto-germ. sporn, spern > fr. éperon (cf. breton spern "épine"), etc.



NB. Les datations des premières attestations d’un mot sont évidemment relatives. Avec le basque on n’est pas dans la même situation qu’avec le français par ex. dont on voit la naissance à partir du latin. Beaucoup de termes basques originaux (non empruntés aux langues romanes ou autres) remontent à la préhistoire. En l’absence de textes écrits (on ne débattra pas ici du cas épineux des inscriptions de Veleia tenues pour fausses par certains et authentiques par d’autres, bien que la balance semble pencher en faveur de l’authenticité) et abstraction faite des inscriptions aquitaines ou éventuellement ibères, il est impossible de dater ces termes préhistoriques, ce qui ne doit nullement empêcher la comparaison avec d’autres langues ou familles de langues très anciennes elles-aussi. Ce serait là encore une lourde erreur. Bien entendu il va de soi également que les termes attestés dans la toponymie et l’onomastique seront généralement datés avec des dates plus anciennes que celles des mots qui n’y figurent pas.

Remarque: La date de 1905 correspond aux termes contenus dans le dictionnaire d’Azkue lorsqu’il n’y a pas d’attestations plus anciennes ailleurs.





Voir aussi :

abréviations

Bibliographie






Dictionnaire étymologique basque

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Contact : Michel Morvan